mercredi 8 septembre 2021

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, Lionel Shriver

 

  

                                                Littérature américaine

      

« Quand la nudité rend au corps un culte pur, c'est la chair qui est humiliée ». (Eugenio d'Ors Y Rovira)


Un matin, à l'heure du petit déjeuner, Remington Alabaster, la soixantaine, ingénieur en génie civil, licencié de la mairie d'Albany - près de New York - par suite de propos racistes, déclare à son épouse, Serenata Terpsichore, son intention de courir un marathon. Serenata, âgée de soixante-années, juge ce projet semblable à celui du caprice d'un adolescent. Toujours est-il que cette lubie provoque une forte tension au sein du couple.


Durant plus de quarante ans, Serenata a couru, nagé, bondi, rebondi, avalé des kilomètres sur son vélo. Mais le temps faisant son œuvre, atteinte de douleurs aiguës aux genoux, Serenata a remplacé ses tenues de sport par une organisation d'entraînements quotidiens qu'elle accomplit scrupuleusement devant des émissions de téléréalité. Aigrie, désabusée, égoïste, misanthrope, systématiquement hostile à tout comportement grégaire - « Aujourd'hui, on tourne frénétiquement en rond, comme les tigres d'Helen Bannerman qui, à force de tourner, se transforment en flaque de beurre. Une civilisation jadis grandiose qui disparaît à l'intérieur de son cul. », - Serenata est irritée d'observer son époux, affublé d'un accoutrement criard et satiné, suivre le troupeau des coureurs du dimanche, très vite sous la houlette de « sa » très sexy coach Bambi.


La guerre est proclamée. ; le couple pourra-t-il résister à la crise face à ce bouleversement et au renversement des situations respectives. Au fond, la question posée par Lionel Shriver - avec pour prétexte le sport, la performance et le culte du corps -, est celle-ci : comment vieillir à deux, au sein du couple ?


Lionel Shriver – en vérité, Margaret Ann Shriver, – est née, en 1957 aux États-Unis (Caroline du Nord). C'est à l'âge de quinze ans qu'elle décide de masculiniser son prénom, convaincue que la vie des hommes est plus simple que celle des femmes. Diplômée de Columbia, Initialement professeur d'anglais (New York), elle pérégrinera ensuite à travers le monde : Nairobi, Bangkok, Belfast… avant de s'installer à Londres. Elle a écrit huit romans traduits en français et remporté plusieurs prix littéraires. : « Il faut qu'on parle de Kevin » (Belfond, 2006), « La Double Vie d'Irina » (Belfond, 2009), Double faute (Belfond, 2010), Tout ça pour quoi ? (Belfond, 2012), Big Brother (Belfond, 2014), La famille Mandible (Belfond, 2017), Propriétés privées (Belfond 2020). « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes » est son huitième roman traduit en français. Elle vit actuellement entre Londres et New York avec son mari, jazzman renommé.


Une intrigue, des conflits, des décors, un paysage, des personnages habilement désignés (1) et des dialogues – car de même que les personnages font l'histoire, les dialogues font les personnages - constituent les fondements indispensables au succès d'un roman. Lorsque l'auteur y ajoute la finesse de l'analyse, les descriptions approfondies aux détails faussement inutiles, il peut espérer approcher la perfection, atteindre le chef-d’œuvre.


Ça, c'était Lionel Shriver jusqu'à la parution de « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes », plus particulièrement dans son précédent livre de nouvelles, « Propriétés privées ».


Effectivement, plus brillant est l'auteur, plus grand est la déception après une lecture laborieuse de son récit. C'est l'envers du génie, la totale indulgence n'est accordée qu'aux moins talentueux. Si Lionel Shriver est habituellement remarquable, elle entame ses qualités dans son dernier roman. Celui-ci semble réunir l'ensemble de la critique lorsqu'elle « crie » au roman prodige. Mais un avis plus nuancé, voire radicalement opposé, peut être avancé. Et il ne s'agit pas de surjouer la critique négative en affirmant avoir éprouvé beaucoup de « souffrance » et d'ennui à la lecture de ce récit fastidieux.


Indubitablement, l'écriture de Lionel Shriver est, comme toujours, impeccable. Ses perceptions de la société et ses capacités à les écrire illustrent son intelligence et sa finesse d'esprit, plus particulièrement, lorsqu'elle dénonce, dans « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes », les outrances des discours et des comportements politiquement corrects aux États-Unis, plus spécialement à l'égard des afro-américains. Le roman, à cet égard, ne manque pas de scènes décomplexées et truculentes.


Bien d'autres thèmes sont abordés avec beaucoup de justesse, les réseaux sociaux, la téléréalité… à travers de drôles et savoureux dialogues.


Mais voici comment les qualités d'un roman peuvent rapidement devenir des défauts rédhibitoires. Sauf le message essentiel, de la dictature du corps et de la performance physique, chaque phrase, chaque mot du roman renferme d'autres messages, certes très subtils, mais tous azimuts, entremêlés les uns aux autres sans une authentique cohérence. Le roman est-il trop long pour le sujet entrepris ? Certainement. De fait, le récit évolue en un fourre-tout, dans lequel, d'ailleurs, l'auteur renoue avec des thèmes anciennement traités dans ses précédents romans « le désir d'appropriation du corps et de sa jeunesse » en référence explicite à « Propriétés privées. (Belfond, 2020)


En définitive, l'intrigue principale devient prétexte à écrire beaucoup trop de choses de façon très désordonnée.


Cela est également vrai à propos des dialogues entre Serenata et Remington – dont on peut concéder la qualité et l'humour souvent –, mais redondants et pénibles à lire sur toute la longueur du livre.


Lionel Shriver est un excellent auteur, elle m'a régalé avec ses précédents livres. Pas cette fois-ci. La confusion entre roman et autobiographie n'est sûrement pas étrangère aux circonstances. (2)


Michel BLAISE. © 2021


(1)
Remington fait référence à un minéral, en l'occurrence, dans l'esprit de l'auteur, un arbre.

« Droit comme un I. Remington était un homme mince au port altier qui donnait l'impression d'avoir gardé la ligne sas jamais rien fait pour… »

On peut noter que Remington est également une marque de célèbre machine à écrire. Est-ce à dire que l'auteur a fait un rapprochement entre la raison d'être de cette machine à « dialogues » et ceux, continuellement échangés, entre les époux Remington Alabaster et Serenata Terpsichore ?

Alabaster, en français albâtre, est un terme anglais appliqué à des minéraux utilisés en tant que matériaux destinés à la sculpture.

Terpsichore, du grec ancien, est une jeune fille, vive, épanouie, couronnée de guirlandes qui se dirige, tenant une lyre sur son épaule, de tous ses pas en cadence. Mère des sirènes, elle aurait un lien avec le Dieu Apollon.


(2)
On peut lire l'ouvrage comme une autobiographie romancée si l'on en juge par les déclarations de l'auteur, reprises dans la presse et, plus particulièrement « The Guardian et The New Yorker (1 juin 2000) « Looking for Trouble » (Lionel Shriver cherche des ennuis).

                            

mercredi 4 août 2021

Mes Trente Glorieuses, Anne Galois


                                         Littérature française


Davantage d'informations sur BABELIO :  ici

« Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s'attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses ». (Manuel Valls)


À la faveur de souvenirs « intimes » - de la petite enfance à sa jeunesse - la narratrice, Margot Bourdillon, narre et dépeint - depuis deux perspectives, des faits divers, avec pour appui certaines « Une » de Paris-Match, ainsi que « ses » chroniques - une famille catholique traditionnelle en France depuis la fin de la seconde guerre au premier choc pétrolier de 1975.


C'est ainsi qu'est publié en 2019, puis réédité en 2021 (Éditions De BORÉE), l'ouvrage d'Anne Gallois, « Mes Trente Glorieuses ».


Excessivement de procédés sont déplaisants et regrettables dans cette entreprise trompeusement singulière. Il ne fait aucun doute, dans ce récit de vie et d'une époque - sous la réserve de l'immuable confusion du souvenir et de l'imagination - à l'instar du roman d'ailleurs - que les identités de la narratrice et l'auteur se confondent.


Par ailleurs, comment doit-on appréhender la première de couverture de cet ouvrage : « Anne GalloisMes Trente Glorieuses Prix de L'Académie Française. Anna de Noailles » ? Je sais ce qu'est L’Académie Française, je sais qui est Anna de Noailles (1876-1933), mais je n'ai jamais entendu un mot à propos d'Anne Gallois.


Allons au fond…


Voilà donc que plus de cinquante ans que l'hexagone vivait, par un temps sans doute plus doux que le nôtre, au « temps béni des colonies », des guerres d'Indochine et d'Algérie, de la crise de Mai 68 – au son de « CRS SS », de pédophiles assumés et toute autre joyeuseté. Liberté chérie…


Mais c'est aussi le temps, où dans les campagnes, les premières salles de bains, les machines à laver, les téléviseurs, la pilule affleurent. Il s'agit, plus généralement, d'un virage moderne et inattendu, d'une société qui se dessine, que Margot Bourdillon révèle avec pour trame l'actualité – Paris Match – afin d'éviter l'écueil insignifiant limité à la seule cellule familiale, la sienne.


Et c'est enfin le temps d'une génération qui laisse à la suivante son lot de problèmes, comme la présente le fait à l'intention des futures…


Margot Bourdillon, petite fille issue d'un milieu privilégié manifeste très tôt une conscience, sous une apparence généreuse, en réalité tourmentée, jalouse, arrogante et faussement modeste. La finesse de la restitution de l'époque n'est pas également la vertu du livre en raison de son manichéisme d'un point de vue de l'analyse politico-sociale. Les Trente Glorieuses n'étaient pas qu'un temps béni…


Pour terminer, en un mot, comme en cent, je me suis mortellement ennuyé à la lecture de ce livre.


Michel BLAISE ©2021

mercredi 21 juillet 2021

De mon plein gré, Mathilde Forget.


                                

                                            Littérature française


Plus d'infos, sur Babélio ICI


Découvert au hasard à la médiathèque de Toulouse, arborant sur la première de couverture, en rouge, « coup de cœur », le roman de Mathilde Forget « de mon plein gré » (Ed. Grasset) n'est pas convaincant.


L'auteur s'est efforcée d'aborder un thème, mille fois traité en littérature aujourd'hui - le viol suivi des sentiments de culpabilité et de fragilité de la femme outragée.


L'héroïne, agent de sécurité, est lesbienne assumée, un tantinet féministe à la limite de la détestation des hommes - Mathilde Forget n'est pas avare d'images et de messages subliminaux éculés.

Pour autant, au petit matin, après une soirée arrosée, elle abandonne une amie - qui désapprouve son attitude - et embarque un homme à son domicile dont les intentions n'étaient pas équivoques.


Et puis le viol…


Le sujet du viol méritait mieux que ce roman sans épaisseur, aussi bien du point de vue des personnages, quasiment inexistants, que du récit lui-même - totalement désordonné, empreint d'aphorismes, de reproductions de textes, de spéculations et de répétitions creuses et insipides.


L'insistance permanente entre l'homosexualité féminine et le viol des femmes est très réductrice et sectaire.


Un roman très approximatif, voire raté.


Michel BLAISE, 2021©

Je préfère les génies aux abrutis. Laurent BRÉMOND.

 

    

                                          Biographie-Mémoires  



                                     

Plus d'infos sur le livre, sur BabelioICI

« Il n'y a qu'un vrai succès : être capable de vivre ta vie à ta manière » (Christophe Morley)


Ce livre est le fruit d'une rencontre et de la naissance d'une amitié, un jour de circonstance et de hasard, dans un petit village des Deux-Sèvres à la terrasse d'un café, entre Laurent Brémond, réalisateur documentariste et Anémone.


Il voulait un instant poser la caméra ; depuis longtemps, elle désirait rédiger ses Mémoires - « Un projet suspendu parce qu'elle n'a pas été satisfaite des coauteurs rencontrés » (P.38).


À la fin de l'année 2017, Anémone mettait définitivement un terme à sa carrière professionnelle. Elle exprimait un point de vue très critique et dépité sur l'avancement et l'évolution du monde et, plus particulièrement, sur celui de l'industrie du spectacle.

« « — Tu m'aides à faire ma biographie, tu pourras l'adapter en film puisque tu en seras l'auteur ». Je reçois sa proposition comme un honneur, mais elle me bouscule… Mon stylo, c'est ma caméra… Une nuit de réflexion… Je réaliserai sa biographie, j'écrirai le film de sa vie. » » (P.39.40).


Le temps faisant son œuvre - incorrigible fumeuse - l'actrice s'éteint avant la parution. Elle n'assistera pas au dernier spectacle dans lequel elle joue, pour le coup, son propre rôle. C'est ainsi que sont nées les confidences inédites et posthumes d'Anémone à Laurent Brémond « Je préfère les génies aux abrutis » (Robert Laffont, 2021).


Au fond, qu'importent les admissibles imperfections de la biographie-Mémoires d'Anémone. Cet ouvrage est imprégné d'intentions, d'instincts, de sentiments ou encore de points de vue débordant de sincérité que ce genre de littérature délaisse, de plus en plus, au profit d'une nouvelle génération « d'écrivains » hâbleurs et égotistes - considérant que l'on n'apprécie pas la qualité d'un livre aux opinions qu'il véhicule, mais à l'honnêteté et la loyauté de son auteur.


Laurent Brémond, avec pudeur et une remarquable intelligence, a parfaitement réussi à montrer le véritable visage - certainement ignoré - de la jeune fille des années 68, « sa période hippie et écolo », assumée et revendiquée, abdiquant un milieu favorisé pour s'aventurer vers d'insensées et diverses pérégrinations jusque dans la « pampa mexicaine », puis sur les chemins incertains du spectacle, courant les cachets et les cabarets.


Ensuite, l'heure du succès, les premiers grands rôles, « le père Noël est une ordure, 1982 » « le grand Chemin, 1987 » (César de la meilleure actrice, 1988).


Enfin, deuxième enseignement d'une détermination inflexible, le délaissement résolu de sa famille professionnelle et du succès qui lui devinrent irrémédiablement insupportables. À la faveur de ce récit – Mémoires, Anémone se confie, sans pudeur, sur ces questions à Laurent Brémond. Avec un style et une verve truculente et non feinte, souvent impertinente, elle évoque des sujets très politiques qui lui importent à l'extrême : la société de consommation, le libéralisme, « l'exploitation capitaliste », l'écologie, ….


Il ne s'agit pas ici d'apprécier la qualité de l'ouvrage à la lumière des opinions radicales et extrêmes d'Anémone, mais du mérite d'avoir mis en valeur une personnalité pareillement drôle que grave, déraisonnable et burlesque que cultivée et intelligente. Anémone, qui ne manquait pas d'humour, parfois cinglant, ne manquait jamais une occasion de conspuer l'argent, la bourgeoisie et le capital tout en se plaignant de trop payer d'impôts, de manquer de moyens, et de se réjouir auprès de Laurent Brémond, à propos de ce livre à paraitre : « on gagnera plein de thunes… » À défaut de toujours parler du « Capital », elle aurait peut-être dû s'en constituer un…


À croire que même les génies ont leurs propres contradictions…


Au cœur de l'ouvrage, Laurent Brémond a interposé quelques photographies d'Anémone. L'une d'entre elles retient plus particulièrement l'attention (P.121). Pas seulement parce qu'elle montre combien Anémone était belle. Laurent Brémond résume en quelques mots de légende peut être l'essentiel :

« Les médias ont souvent résumé Anémone à l'image d'un clown, d'une actrice de comédies. Mais elle avait de nombreuses cordes à son arc, des talents multiples et un tempérament plus tourmenté qu'il n'y paraissait ».


Michel BLAISE © 2021

dimanche 20 juin 2021

Moi et François MITTERRAND, Hervé Le TELLIER


                           Humour - Politique - Pamphlet

Plus d'infos, sur Babelio, : ICI


« Il y a ceux qui ont besoin d'écrire, ceux qui ont besoin de rêver, ceux qui ont besoin de parler… ; mais les romans ne sont pas sérieux, c'est la mythomanie qui l'est » (André Malraux).

Ce court récit, illustré par des documents visuels, « Moi et François Mitterrand » (Hervé le Tellier Jean-Claude Lattès, 2016), dont l'auteur est lui-même le narrateur, relate la « vraie fausse » correspondance d'un mythomane avec le président Mitterrand et ses successeurs jusqu'à François Hollande.

« Je ne vais pas en faire une affaire d'État…, mais à partir de 1983 François Mitterrand et moi avons entretenu une correspondance assidue… »

« Cher François Mitterrand, je voulais vous féliciter – fût-ce avec un léger retard – de votre élection voici deux ans déjà. Je suis à Arcachon où je passe de bonnes vacances, nous parlions justement de vous. Nous avons mangé des huitres, excellentes, bien qu'un peu laiteuses. Encore bravo. Hervé le Tellier. »

Quelques semaines plus tard, Hervé le Tellier reçoit une réponse-type, mais qu'il interprète comme très personnelle au point qu'il identifiera toute la correspondance qui va suivre, mais qu'il alimente seul puisqu'il ne recevra toujours que la même lettre impersonnelle, à l'amitié que se portaient Montaigne et La Boétie, comme le révèle la citation en épigraphe du texte : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».

« Présidence de la République, Paris le 12 décembre 1983,

Cher Monsieur, votre lettre en date du 10 septembre 1983 vient de me parvenir et je vous en remercie. Ne doutez pas, cher Monsieur, que vos remarques recevront toutes l'attention qu'elles méritent et qu'elles seront prises en considération par nos services dans les délais les plus brefs… »

« Dès les premiers mots, j'ai tout de suite reconnu le style de François Mitterrand, si aérien, si littéraire… J'ai apprécié ce « Cher Monsieur » … »

Ce texte, que l'on pourrait sous-titrer la « correspondance d'un mythomane », au demeurant fort bien écrit, n'aspire qu'à procurer une heure de joyeuse et hilare lecture. Il y parvient brillamment.

Mais sous couleur de légèreté, l'on distingue, dans une comédie politique du rapport au pouvoir, quelques lazzis et quolibets bien sentis qui autorisent l'intitulé de pamphlet.

C'est délicieux, jouissif, irrévérencieux et bien écrit.



Michel BLAISE © 2021

La grâce et les ténèbres, Ann Scott

        

                                       Islamistes - Internet - terroristes

Plus d'infos, sur Babelioici


« On dit les idéologies mortes, mais les plus efficaces sont celles qu'on ne perçoit pas comme telles ». (Marc Augé)

Sur le thème de l'islamisme et le monde méconnu de la lutte bénévole qui le combat sur les réseaux sociaux, ce livre (« La grâce et les ténèbres », Calmann-Lévy 2020) est exaspérant et problématique. Polar géopolitique, document, ce livre est avant tout un essai parce qu'Ann Scott ne se limite pas à raconter une histoire ou à exposer objectivement des faits, mais présente, plus que de raison, sa pensée pénétrée d'une idéologie obsédante qui interpelle sur les rapports malsains que l'auteur entretient avec l'islamisme.

Les faits. le personnage principal, Chris, trentenaire, musicien incapable, bourgeois-bohème, sans personnalité ni conviction, tête à claques et exaspérant - bref, « jeune branleur » et bon à rien -, habite un appartement vide, trop grand pour lui, dans lequel il vit la nuit et dort la journée. Il tente, mais en vain, de composer sa musique. Influencé par les engagements de sa mère, climatologue, et de ses sœurs, photographe et reporter de guerre, il pense donner un sens à sa vie, le jour où, avec celles-ci, il découvre - peu après la présentation des images de l'exécution par l'État Islamique du journaliste, James Foley - un groupe d'anonymes qui lutte contre la propagande djihadiste sur internet, les « narvalos ».

Au début fasciné, il se lance dans la cybersurveillance pour, petit à petit, se détacher de lui-même au service d'une cause, une fois encore trop ambitieuse pour lui, qui le déborde jusqu'au stress posttraumatique.

Avant la parution de son premier roman « Asphyxie » (1996) - description de l'ordinaire d'un groupe punk américain en tournée en Europe, inspiré de Nirvana et des Sex Pistols -, Ann Scott ne trouvait pas d'éditeur. Puis vint la publication, quatre ans plus tard, de « Superstars » (Flammarion 2000), précédé de « Poussière d'anges » et, enfin, de « Cortex », (Stock).

Les ouvrages d'Ann Scott particulièrement psychédéliques, gravitent régulièrement autour des thèmes de la musique électronique, de la drogue - sans pour autant dénoncer celle-ci - de l'homosexualité et de la bisexualité, sur un ton prosélytique par un rejet subliminal de l'homosexualité lorsqu'elle déclare sur le média « Nulle part ailleurs » : « Autant la bisexualité est une forme d'équilibre pour moi, autant les relations homosexuelles que j'ai pu vivre ont été plutôt pathologiques »

Assurément sa rencontre, en 1995, avec la sulfureuse, contestée et contestable Virginie Despentes (1) - qui s'est récemment illustrée par des prises de positions racialistes - et aujourd'hui l'écriture de « La grâce et les ténèbres », trahissent Ann Scott qui entretient entre l'islamisme et d'autres structures extrémistes également répugnantes - l'ultra droite et autres organisations néonazies, notamment - une vision hiérarchisée singulièrement malsaine.

La rédaction de cet essai, pétri d'idéologies, expose évidemment l'auteur, pareillement à son ouvrage, à des critiques plus personnelles.

Mais je ne veux pas me fourvoyer dans le commentaire. Aussi, j'admets très volontiers que la présentation des « Narvalos » - sous certaines réserves tenant aux amalgames entre document et fiction, spécialement lorsqu'il s'agit de romancer les « loupés » des services du renseignement (attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, par exemple) en citant nommément les protagonistes des agressions islamistes et le modus operandi, procédé plus que discutable - est remarquable. le travail accompli par l'auteur, durant deux ans au côté du collectif de la « Katiba des Narvalos » (en arabe « Bataillon des fous »), constitué après les attentats de 2015 en France afin de collaborer, bénévolement à leurs risques et périls, auprès des services de renseignements, est louable et très instructif.

Et si l'on doit saluer, dans cet ouvrage, je ne sais quoi et je ne sais qui, ce sont bien ces anonymes et eux seuls.

Pour le reste, sur le fond, l'ouvrage d'Ann Scott est navrant d'idéologie et de dogmatisme contre-productifs.

mardi 13 avril 2021

Dans la tête de ma psy et comment choisir le sien, Dr Sylvie Wieviorka

 


                             Médecine - psychiatrie - psychothérapie     

Plus d'infos, sur Babelio ICI


   « De quelque manière qu'on s'y prenne on s'y prend toujours mal » (Sigmund Freud)


L'ouvrage du médecin psychiatre Sylvie Wieviorka - HumenSciences, 2021(1) - n'est pas un traité de psychiatrie ni de psychanalyse. Pour autant, l'auteur ne s'abandonne jamais à la vulgarisation. S'obligeant à une définition simple et modeste - « la psychothérapie s'adresse à des personnes qui souffrent » - l'auteur écrit simultanément un récit et un essai, intelligent et intelligible, signé d'une longue expérience. Il interpelle prioritairement ceux qui, déjà affaiblis par des souffrances psychiques, seraient désireux de consulter, mais doutent de la pertinence et des conditions d'une démarche difficile, souvent perçue comme un espoir vain. Sylvie Wieviorka donne des informations et des conseils appropriés, illustrés de cas concrets et de dialogues rapportés, afin de réfuter aprioris et préjugés.

mardi 23 février 2021

Le misanthrope, Molière

 

                                                        Théâtre classique


Tout homme qui a quarante ans n'est pas misanthrope n'a jamais aimé les hommes (Nicolas de Chamfort).

Le défenseur des droits proposait des lieux sans contrôles policiers, afin de ne pas "discriminer" une minorité de résidents de cités - une autre façon de créer des zones de non- droit.

Le même jour, France Culture saluait l'initiative d'un "centre de théâtre" invitant des jeunes"auteurs" à réécrire cinq pièces de Molière "afin de le rendre plus accessible" et de le "désacraliser".

Quel lien ? Une tragi-comédie !

" J'entre en une humeur noire, et un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font ;
Je ne trouve partout que lâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ;
Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain".

Le Misanthrope, (I, 1, v. 89-94)

Bonne lecture.

Michel BLAISE ©

mercredi 17 février 2021

Le puits du fou, Joffrey Sinet (Lien vers Babelio)

 

                  

                                             Policier - Thriller psychologique

 « Il est préférable de guérir l’offense plutôt que de la venger. La vengeance prend beaucoup de temps, elle expose à bien des offenses ». (Sénèque)


Marc olivier Novak (Marco), le narrateur, ne vit que pour une atroce obsession, un projet effroyable et cynique - venger la mort de son fils. Robin était âgé de cinq ans lorsqu’il fut renversé par Frans Van Hagen, un chauffard en état d’ivresse qui prit la fuite après l’accident.

Le mariage et les relations sociales de Marco n’ont pas survécu au drame.

Frans est condamné à quinze ans d’emprisonnement. C’est insignifiant pour « ce fils de chien…. Quinze ans de taule pour avoir buté mon gosse…, et fauché trois vies… Que sont quinze ans de gnouf ? Une mascarade ! » (P.50).

Aussi, lorsque Frans est libéré, Marco met en œuvre une folle, démoniaque, et machiavélique entreprise de vengeance réfléchie et minutieusement préparée, durant quinze ans, à l’intention de « l’assassin » de son fils.

Joffrey Sinet est un écrivain publié en autoédition. Il enseigne le français et l’histoire en lycée professionnel. Épris de littérature, passionné plus particulièrement par les auteurs de romans policiers et de thrillers, « Le puits du fou » et son troisième ouvrage. (1)

Lorsque Joffrey Sinet choisit un narrateur interne pour relater son récit méphistophélique - en l’occurrence Marco, le personnage principal -, une plus-value est conférée conséquemment à son roman par l’amplification des émotions et l’identification du lecteur à celles-ci. Il serait faux de nier que c’est exactement ce à quoi aspire tout lecteur de romans - la décentration - ce mécanisme psychologique permettant d’oublier sa propre situation pour s’installer dans celle de quelqu’un d’autre, exprimée par : « je lis pour m’évader ».

Ainsi entendu, « Le puits du fou » est l’assurance d’une évasion et la promesse de suspense, d’horreurs, de malheurs et de sueurs froides.

Cela dit, le récit de Joffrey Sinet est-il strictement une fiction ? L’auteur et le narrateur ne se retrouvent-ils pas, à un instant du récit - la mort d’un enfant -, dans la réalité, quand d’autres situations ne seraient que fantasmées – comme l’exécution de la vengeance ? Certains propos de l’auteur, au chapitre des remerciements, permettent cette question qui n’est pas inutile eu égard à la nature de l’intrigue, de son intérêt et de sa portée également.

C’est pourquoi, « Le puits du fou » se place bien au-delà des polars ou des thrillers. Pour ces derniers, le caractère chimérique est assimilé par le lecteur qui, tout en frissonnant, sait qu’il se trouve « en territoire de fiction ». Alors, tous les bénéfices sont concentrés : divertissement - au sens pascalien - et frissons. La lecture du livre de Joffrey Sinet peut, de ce point de vue, se révéler moins confortable.

Pour autant, l’ensemble - une écriture irréprochable, des propos, des raisonnements, et des dialogues exquis, intelligents, jubilatoires, justes et saisissants de réalisme – offre de merveilleux et remarquables moments de lecture.

Je recommande vivement.

Bonne lecture.

Michel BLAISE ©


1 – Joffrey Sinet a également publié :
Prête-moi ta mort, 26 août 2020 – ISBN - 979-8679401020
Intrication, 8 avril 2020 – ISBN - 978-2957199518