mardi 23 février 2021

Le misanthrope, Molière

 

                                                        Théâtre classique


Tout homme qui a quarante ans n'est pas misanthrope n'a jamais aimé les hommes (Nicolas de Chamfort).

Le défenseur des droits proposait des lieux sans contrôles policiers, afin de ne pas "discriminer" une minorité de résidents de cités - une autre façon de créer des zones de non- droit.

Le même jour, France Culture saluait l'initiative d'un "centre de théâtre" invitant des jeunes"auteurs" à réécrire cinq pièces de Molière "afin de le rendre plus accessible" et de le "désacraliser".

Quel lien ? Une tragi-comédie !

" J'entre en une humeur noire, et un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font ;
Je ne trouve partout que lâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ;
Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain".

Le Misanthrope, (I, 1, v. 89-94)

Bonne lecture.

Michel BLAISE ©

mercredi 17 février 2021

Le puits du fou, Joffrey Sinet (Lien vers Babelio)

 

                  

                                             Policier - Thriller psychologique

 « Il est préférable de guérir l’offense plutôt que de la venger. La vengeance prend beaucoup de temps, elle expose à bien des offenses ». (Sénèque)


Marc olivier Novak (Marco), le narrateur, ne vit que pour une atroce obsession, un projet effroyable et cynique - venger la mort de son fils. Robin était âgé de cinq ans lorsqu’il fut renversé par Frans Van Hagen, un chauffard en état d’ivresse qui prit la fuite après l’accident.

Le mariage et les relations sociales de Marco n’ont pas survécu au drame.

Frans est condamné à quinze ans d’emprisonnement. C’est insignifiant pour « ce fils de chien…. Quinze ans de taule pour avoir buté mon gosse…, et fauché trois vies… Que sont quinze ans de gnouf ? Une mascarade ! » (P.50).

Aussi, lorsque Frans est libéré, Marco met en œuvre une folle, démoniaque, et machiavélique entreprise de vengeance réfléchie et minutieusement préparée, durant quinze ans, à l’intention de « l’assassin » de son fils.

Joffrey Sinet est un écrivain publié en autoédition. Il enseigne le français et l’histoire en lycée professionnel. Épris de littérature, passionné plus particulièrement par les auteurs de romans policiers et de thrillers, « Le puits du fou » et son troisième ouvrage. (1)

Lorsque Joffrey Sinet choisit un narrateur interne pour relater son récit méphistophélique - en l’occurrence Marco, le personnage principal -, une plus-value est conférée conséquemment à son roman par l’amplification des émotions et l’identification du lecteur à celles-ci. Il serait faux de nier que c’est exactement ce à quoi aspire tout lecteur de romans - la décentration - ce mécanisme psychologique permettant d’oublier sa propre situation pour s’installer dans celle de quelqu’un d’autre, exprimée par : « je lis pour m’évader ».

Ainsi entendu, « Le puits du fou » est l’assurance d’une évasion et la promesse de suspense, d’horreurs, de malheurs et de sueurs froides.

Cela dit, le récit de Joffrey Sinet est-il strictement une fiction ? L’auteur et le narrateur ne se retrouvent-ils pas, à un instant du récit - la mort d’un enfant -, dans la réalité, quand d’autres situations ne seraient que fantasmées – comme l’exécution de la vengeance ? Certains propos de l’auteur, au chapitre des remerciements, permettent cette question qui n’est pas inutile eu égard à la nature de l’intrigue, de son intérêt et de sa portée également.

C’est pourquoi, « Le puits du fou » se place bien au-delà des polars ou des thrillers. Pour ces derniers, le caractère chimérique est assimilé par le lecteur qui, tout en frissonnant, sait qu’il se trouve « en territoire de fiction ». Alors, tous les bénéfices sont concentrés : divertissement - au sens pascalien - et frissons. La lecture du livre de Joffrey Sinet peut, de ce point de vue, se révéler moins confortable.

Pour autant, l’ensemble - une écriture irréprochable, des propos, des raisonnements, et des dialogues exquis, intelligents, jubilatoires, justes et saisissants de réalisme – offre de merveilleux et remarquables moments de lecture.

Je recommande vivement.

Bonne lecture.

Michel BLAISE ©


1 – Joffrey Sinet a également publié :
Prête-moi ta mort, 26 août 2020 – ISBN - 979-8679401020
Intrication, 8 avril 2020 – ISBN - 978-2957199518

jeudi 4 février 2021

Cent ans de Laurelfield, Rebecca Makkai (Lien vers Babelio)


                                    Littérature américaine - saga familiale


« Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine » (Antonio de Salazar)

Dans l'atavique demeure de « Laurelfield », dans l'Illinois près de Chicago, l'aïeule centenaire, Violet Saville Devohr, qui jadis s'y serait suicidée, hante les lieux. Elle observe depuis son portrait suspendu au mur de la salle à manger, ses descendants et les résidents qui vont et viennent.

Sur le mode des poupées gigognes et empruntant un chemin à rebours, l'auteur écrit une saga familiale impertinente et audacieuse.

1999. le 31 décembre, veille du passage au deuxième millénaire, sont présents : Zee, enseignante universitaire, marxiste, qui dédaigne la fortune de ses parents, tout en profitant de celle-ci en habitant le domaine familial avec son mari, Doug, doctorant ès Lettres, ainsi que sa mère, Grace, aussi étrange que mystérieuse - dissimule-t-elle un abominable secret ? -, et son beau-père, Bruce, obsédé à faire des provisions pour prévenir la catastrophe annoncée du passage à l'an 2000.

1955. Grace et son mari, George - alcoolique et violent -, emménagent à « Laurelfield ». Mais Grace perçoit des indices dont elle est persuadée qu'ils augurent de mauvais présages dont certains sont comme surréels. Désormais, sa situation se trouve sens dessus dessous. Néanmoins, et fort heureusement, Grace s'agrippe à Max, le majordome. Mais celui-ci est également perclus de mystères se traduisant pour Grace par l'incapacité de celle-ci à découvrir qui est réellement la jeune Amy, la prétendue nièce de Max.

1929. « Laurelfield » est une colonie d'artistes accueillant le « gratin » de la création artistique de l'entre-deux-guerres, une communauté esthète et libertine.

« Cent ans de Laurelfield » (Les Escales, janvier 2021) est le troisième roman traduit en français de Rebecca Makkai (Lake Forest - Chicago, Illinois) après « Chapardeuse » (Gallimard, 2012) et « Les Optimistes » (Les Escales, janvier 2020).

Si l'on osait une comparaison artistique entre la littérature et l'opéra, on pourrait dire que le roman « Cent ans de Laurelfield », par opposition à un récit plus conventionnel, rappellerait l'une des traditionnelles altérités de l'art lyrique. Quand le « Bel canto » de Verdi commence par une ouverture qui expose, en quelques mouvements, l'intégralité et l'ampleur des passions en sursis, l'opéra Wagnérien joue de ressorts spéculatifs. Avec circonspection et toutes proportions gardées, l'on peut dire que Rebecca Makkai, dans « Cent ans de Laurelfield », déploie un récit aux allures wagnériennes par l'usage de thèmes étroitement imbriqués au sein d'intrigues, entremêlées les unes aux autres, parfois relevant de la magie, voire du mythe. de même, l'on retrouve des fondamentaux - leitmotivs et fils conducteurs - au soutien de la composition du récit exhaussé suivant une construction antéchronologique - de 1999 à 1900, en s'achevant par un prologue – où, à chaque instant, Rebecca Makkai révèle des messages au lecteur :

« Tout ce fichu siècle aurait eu bien plus de sens s'il s'était déroulé à rebours» (P. 154).

C'est un point essentiel qui traduit le coup de maître réalisé par l'auteur dans ce roman d'une intelligence outrageante. Mais que l'on ne s'y méprenne pas, pas de providence, ni Dieux ni Déesses sur la propriété de « Laurelfield », mais des intrigues et des personnages, de chair et de sang, empreints de points de vue contraires et opposés, magistralement mis en scène, qui demeurent et se meuvent, mais tous dans la filiation de générations successives.

Rebecca Makkai n'est pas avare d'intrigues et de contradictions dont« Laurelfield » est un modèle de creuset. Zee, universitaire marxiste, aux liens familiaux contrariés, accepte, toutefois, d'emménager dans la remise de la propriété avec son mari, Doug, astreint à rédiger, pour l'université, une monographie sur un mystérieux poète, Edwin Parfitt. Peu inspiré, il écrit en secret des romans pour jeunes filles. À la demande de Grace, les époux doivent partager cet espace avec le demi-frère de Zee, Case, et sa femme, Miriam, une artiste fantasque. Mais l'équilibre du couple formé par Zee et Doug semble être remis en question depuis l'arrivée des deux autres. Également, Amy, une jeune fille moquée pour son physique, qui est présentée par Max comme sa prétendue nièce, sème le trouble.

Les personnages du roman, qui évoluent au sein de conflits permanents, présentent tous les caractères pour s'y attacher ou les détester. Leurs défauts, leurs contradictions et leurs évolutions – à ce dernier égard, il est prudent de se méfier des apparences, les bons ne sont pas toujours ceux auxquels nous pensons. Mais, tous concourent à faire de cette fiction un excellent roman.

Quelques réserves cependant :

En premier lieu, sur ces deux derniers points – intrigues et personnages -, on ne saisit pas toujours, et pour tous, ce qu'ils deviennent au fil de la lecture et, plus particulièrement, dans la deuxième et la troisième partie du roman. Aussi, une seconde lecture - voire une deuxième - peut s'avérer nécessaire pour bien comprendre, le cas échéant, ce que sont devenus certains personnages et le sens de certaines situations (Zee et Max par exemple). Mais, tout compte fait, Rebecca Makkai n'écrit pas un roman sur ce qui va arriver, mais sur le passé révolu et le pourquoi de celui-ci que seul le lecteur peut saisir en fin de roman.

Ainsi, comme l'on sait, dans les années 20, « Laurelfield » était une colonie accueillant des artistes - dont Edwin Parfitt. Doug est persuadé que le grenier contient des archives et documents précieux pour son travail. Il s'affranchit, alors, de l'interdiction, très énigmatique de sa belle-mère, Grace, que seul le lecteur comprendra, mais plus tard, tout comme tant d'autres mystères et intrigues.

De même, mais ce point n'est pas en lien avec l'apparente tortuosité du roman particulièrement bien conduit, il faut lire une centaine de pages pour ne pas abandonner la lecture en cours de route. Si celles-ci ne sont pas outrageusement ennuyeuses, elles ne sont pas d'emblée passionnantes en raison, précisément, de la structure du roman et du fait que l'on ne sait pas très bien ce qu'il en est et où l'on va. Mais tout vient à point à qui sait attendre…

En bref, si le livre demande une lecture un minimum soutenue, il est extrêmement riche, intelligent et passionnant et, paradoxalement, léger et drôle sur fond de comédie, voire de satire historique, de spectres et apparitions, agrémenté d'humour à caractère sexuel, mais toujours spirituel.

Je conseille très vivement la lecture de ce roman.

Bonne lecture.


Michel BLAISE ® 4 février 2021