mardi 14 septembre 2021

Le fils du pêcheur, Sacha Sperling

 

    

                                     Littérature française- homosexualité


« La fiction, c'est la part de vérité qu'il existe en chaque mensonge. » (Stephen King)


« le fils du pêcheur » (Robert Laffont, 2021) est la troisième autofiction de Sacha Sperling depuis la parution, en 2009, de « Mes illusions donnent sur la cour », alors que l'auteur avait seulement dix-neuf ans, récit encensé par la critique. Frédéric Beigbeder écrivait lors de sa parution « c'est le « Bonjour tristesse » de la rentrée. »»


Il s'agit, aujourd'hui, de la narration croisée, passée et actuelle, de l'histoire de deux amours toxiques et dévastatrices - la drogue, l'alcool, la maladie, la dépression, la mort, les questions matérielles et financières perverties - à Paris entre Mona et Sacha, trentenaires, d'une part, et ce dernier - lorsqu'il quitte son amie et la capitale pour rejoindre sa Normandie natale - et Léo, vingt-ans, d'autre part, son deuxième amour.


« J'ai été amoureux deux fois », écrit l'auteur.


Un roman est rarement le fruit de la seule imagination ; il convoque toujours la mémoire. La composition de la recette est ensuite affaire de raffinement entre ces deux ingrédients. Mais que penser et que croire du roman mêlant la fiction et la réalité autobiographique, a fortiori d'un auteur âgé de dix-neuf ans ? « L'impudeur ET la délivrance de l'autofiction » écrivait, en 1999, un critique littéraire au Monde.


Sacha Sperling, enfant de réalisateurs de cinéma, est doué pour inventer des histoires - qui au fil des autofictions se répètent à l'envi à travers le héros de son récit - lui-même - un « gamin » geignard, paresseux, flegmatique et apathique.


Le récit est incontestablement très bien écrit. Comment exiger davantage aujourd'hui au cœur d'une nouvelle littérature très médiocre ?


L'intrigue, dont on peut déplorer la lenteur durant la première moitié du livre, laisse quelquefois perplexe. À cet égard, on aimerait connaitre le sens des propos de l'auteur au début du récit, repris sur la quatrième de couverture : « j'ai détruit le mec que j'aimais ».


Ce n'est pas l'impression que nous laisse le roman à la fin de la lecture. Pourtant, cette question n'est pas un point de détail. Elle serait presque essentielle à la cohérence du récit si l'on considère que dans la liaison amoureuse entre Sacha et Mona existaient en germe les problèmes que l'on rencontre – renforcés - dans celle entre Léo et Sacha.


Et c'est pourquoi le dénouement de l'histoire entre ces derniers laisse perplexe quant à la portée « auto-fictionnelle ».


Une fin bâclée ou une impasse ? Une impasse, surement, dans laquelle, d'ailleurs, Sacha - bébé et trentenaire geignard – s'est toujours enfermé. Et le piège de l'auto-fiction semble rattraper Sacha Sperling. Où se situe la frontière entre la réalité et la fiction, le mythe du double littéraire ?


Sacha écrit : « j'ai été amoureux deux fois… Je les ai aimés pareil. Je veux dire aussi fort… ». Rien n'est moins sûr, car Sacha ne semble pas connaitre le sens du mot « Amour ». Quand il exige de sa thérapeute qu'elle lui donne des mots sur ses maux :


« je veux des mots ». De guerre lasse, le spécialiste est sans appel : « instabilité émotionnelle. Faille égotique… Troubles narcissiques… peur systématique d'abandon… Angoisses paranoïdes, renforcées par la prise constante de stupéfiants. Tendance à la dépression… »


Alors qui a détruit l'autre ? Et si Sacha, tout simplement, ne s'était borné qu'à révéler ses troubles psychiatriques, réels ou fictionnels ?


Dans quelle mesure cette relation n'a pas été que la seule conséquence de l'unique schéma affectif et amoureux invariablement connu et idéalisé de Sacha, depuis toujours ? Sacha n'est-il pas le seul artisan de sa propre infortune ? N'a-t-il pas reproduit ses errements, ses turpitudes et inconduites pour, en définitive, se détruire lui-même avant de rejeter la responsabilité sur les autres, sa mère, son père, Mona, Léo… ?


La réalité ne dépasse-t-elle pas la fiction ?


Quoi qu'il en soit, « le fils du pêcheur » - à la suite des précédentes auto-fictions de l'auteur - est un très bon récit, remarquablement bien écrit, que je recommande vivement.


Bonne lecture.


Michel BLAISE © 2021