jeudi 16 mai 2019

Salut A Toi Ô Mon Frère, Marin Ledun



                                Satire sociale - policier
                                   TRÈS DRÔLE !

Nous sommes le matin du 27 mars 2017 à Tournon-sur-Rhône au sein de la déjantée smala Mabille-Pons : l’inénarrable, excitée et outrancière Adélaïde, la mère, infirmière ;  l’accommodant Charles, le père, clerc de notaire ; six enfants (Ferdinand, l'aîné, Pacôme, Antoine,  Gustave - dit Gus, le benjamin, adopté, d'origine colombienne  -  ainsi que deux filles, Rose et Camille ; un chien, deux chats. Ce matin même, alerte générale, le "petit" Gus, a disparu...
Dans la nuit, un bureau de tabac était cambriolé. Le gérant est grièvement blessé. Transporté à l'hôpital, il est dans le coma.  Mais où est donc passé  Gus ? On s'interroge toujours, quand -  tout à coup - on sonne à la porte. Qui est ce ? : "Personne"…  Richard Personne, inspecteur de Police, muni d'un mandat de perquisition… Gus, le "colombien basané"(1), est le coupable idéal et désigné...
Au jeu "de cette famille"…, modeste mais néanmoins instruite et sagace, Marin Ledun demande à Rose - sœur aînée de Gus et khâgneuse ("cagneuse"Page.31), toutefois "oratrice" des "Essais" de Montaigne dans un quelconque salon de coiffure pour dames avides de culture "sous le casque" – de conter l'intrigue, une "galère" dans laquelle Adélaïde "s'embarque", mais certainement pas pour "s'y taire"(2)
Marin Ledun est chercheur en sciences sociales. Son roman, "Salut A toi Ô Mon Frère", édité, en 2018, aux éditions Gallimard – collection  Série Noire - est la continuation d'une entreprise littéraire très prolixe. (3)
En repoussant parfois les limites des ambiances angoissantes, ses romans relatent des intrigues sur le malaise de nos sociétés contemporaines. Nous retenons "modus operandi", publié, en 2007 "Au diable Vauvert", "les visages écrasés" en 2011 aux éditions du Seuil. Il est également l'auteur de nombreuses nouvelles, de romans pour la jeunesse, de divers essais, de pièces radiophoniques ainsi que d'adaptations cinématographiques.

En publiant "Salut A Toi Ô Mon Frère", Marin Ledun n'a nul donc besoin d'une gloire usurpée ; indiquer que cette fiction est une petite merveille est amplement suffisant.

Exercé au genre du roman social noir plus particulièrement - "les "visages écrasés" par exemple - Marin Ledun n'a pas ménagé sa peine pour nous offrir cette fois-ci une œuvre plus singulière et légère, mais non moins estimable.
Pour autant, "Salut A Toi Ô Mon Frère" n'appartient pas formellement à la catégorie policier ou "noir", en ce sens que les règles et les "codes" y sont incertains, voire approximatifs ou inexistants. Néanmoins, Marin Ledun ne ruine, à aucun moment, le plaisir de notre  lecture, bien au contraire.

Il est inutile de s'étendre sur l'intrigue. Elle ne propose aucune surprise. L'auteur entreprend de dénoncer des situations et des comportements  sociaux dans cette adorable comédie très drôle, corrosive, acerbe parfois -  aux jeux de mots "jamais laids", mais toujours délectables et désopilants - mettant en scène une police de pieds nickelés, une famille enflammée, solidaire et aimante laquelle, la mère à sa tête, engage une bataille, littéralement  corps et âme, pour sauver le petit dernier, bouc émissaire plénipotentiaire.

Le racisme, la police  et ses déviances, la bourgeoisie – "où allons-nous, si le moindre péquenot notaire de province peut porter plainte contre Gus" (P.127) -  la rumeur et les raccourcis des foules haineuses, la bêtise, l'intolérance – "Un papillon, c'est jamais qu'une mite qui aurait pris de l'acide" -  les institutions plus généralement, sont stigmatisés par Marin Ledun au moyen d'une écriture alerte et "verte", mais néanmoins scrupuleuse, et astucieusement drôle. L'auteur n'est pas avare de références culturelles : de références aux "Essais" de Montaigne aux images du  cinéma de Kubrick, il cite quelques vers d'Aragon :

"Montaigne, c'est carrément le summum du porno chic. C'est l'Eyes Wide Shut(4)   de la prostate…" (P.164)

"Sur le chemin du retour, j'essaie de me souvenir des premiers vers de Nous dormirons ensemble d'Aragon. Que ce soit dimanche ou lundi, soir ou matin, minuit midi, dans l'enfer ou le paradis…" (P.117)

Les personnages du roman, autant que les situations, sont réalisés "sur mesure" : Adélaïde, la mère, infirmière, haute en couleurs et "déjantée" est capable du meilleur et du pire pour défendre sa famille, jusqu'à s'enchaîner au grilles du commissariat sous les yeux ébahis du pataud divisionnaire Boyer, entamer une grève de la faim et soulever la population jusqu'à la libération de son petit Gus " bon comme la romaine" (P.46). Charles, le père, clerc de notaire, plus accommodant et discret, incapable de réussir l'examen de notaire, essaye vainement de calmer les véhémences de sa femme. Les enfants sont, pour la plupart, de brillants étudiants (philosophie, mathématiques), à l'exception d'Antoine apprenti boulanger exploité par son employeur. Rose, Rock en roll du matin au soir, tombe amoureuse de Personne, le lieutenant aux yeux "verts pêches" (sic), aux grand dam de sa mère désespérée par cette liaison transgressive… Quant au chien, il semblerait qu'il  "chipe" les magazines pornos… Quid des deux chats ?, on ne se sait pas... Un authentique "bordel" dans cette famille agitée, mais de laquelle émane, en permanence, humour et amour sous la plus de Marin Ledun.

L'on pourrait reprocher à l'auteur - certaines critiques le font, ici et là -  trop de lieux communs et de propos manichéens autour d'une comédie contrainte par les "nouvelles" conventions sociales et la prétendue constance des relations sociales : les riches, les bourgeois, la police, les institutions sont systématiquement décrits comme les "oppresseurs" des plus humbles. Ce reproche est pertinent et non dénué de bon sens. D'autant que, emporté par sa fougue, Marin Ledun ne se limite pas à dénoncer simplement des faits objectifs. Sa sensibilité "rousseauiste" le rattrape parfois ; pour autant, son propos n'apporte aucune plus-value au message essentiel : "c'est tout de même monotone…une vie de portail, coulisser dans un sens, puis dans l'autre, tout ça parce qu'un imbécile heureux a inventé un jour le concept de propriété privé" (P.263)

"Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur; ... il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits" a écrit Beaumarchais. Marin Ledun ne prendra donc pas ombrage de cette brève critique, parce que c'est malgré tout une merveille qu'il nous offre avec "Salut A toi, Ô Mon Frère". Sa  démesure est même plaisante, parfois. Le roman n'est pas une thèse  académique ou universitaire, mais une satire sociale, et donc une caricature selon les "règles" et les "codes" indispensables à celle-ci.

Et c'est très bien ainsi !  Marin Ledun nous a offert, de la sorte, une adorable comédie aigre-douce, mais superbement drôle, autour d'une belle famille sortie de nulle part.Haut du formulaire

Michel BLAISE© 2019   #BePolarSalutAToiÔMonFrère


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1) Un "mexicain basané" n'aurait pas été honni. (Pour dire que l'on peut passer des  "Bérus" à Marcel Amont sans distinction de générations !,

2) Selon la mythologie grecque, "s'embarquer pour Cythère" signifie avoir un rendez-vous galant généralement pour la première fois. Vénus avait pour surnom Cythère, car née sur le rivage de Cythère dans une île de la mer Egée, haut lieu de culte d'AphroditeL'embarquement pour Cythère, synonyme d'un voyage au pays de l'amour viendrait d'un tableau de Watteau signé en 1717 qui représente des couples d'amoureux sur le point de partir pour l'île d'Aphrodite ; il s'agissait, également, d'embarquements de galériens pour Cythère :
"Regagner Cythère, leur port d'attache,
Était pour eux, une impossible tâche...

(Aristide, créateur d'un site internet aux fins de promouvoir l'amour romantique).  https://short-edition.com/fr/auteur/aristide-1   
3) Marin Ledun vient de publier, aux mêmes éditions, le 2 mai 2019, "la suite" des aventures de la famille Mabille-Pons,         lien : "La vie en rose"

4) "Eyes wide shut" : ("Les yeux grand fermés") est un film britannique-américain réalisé, produit et coécrit par Stanley Kubrick, sorti en 1999. Il s'agit du dernier film du cinéaste, qui mourut avant que le montage final ne soit terminé. Le scénario est fondé sur la nouvelle d'Arthur Schnitzler publiée en 1926.
Drame érotique et mystérieux, l'histoire narre la nuit d'errance du Dr Bill Harford dans et autour de New York. Voulant d'abord tromper sa femme — elle-même tentée par l'adultère —, il assiste à une orgie sexuelle, dont il est chassé. Il découvre alors l'existence d'une société secrète liée aux événements et aux personnages qu'il a rencontrés. Dépassé, il retourne auprès de son épouse, sans que leur problème soit résolu. (Source Wikipédia).




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