lundi 29 novembre 2021

True story, Kate Reed Petty

 

               

                                                 Littérature Américaine


« Tout observateur du genre humain sait combien il est difficile de raconter une expérience de telle sorte qu'aucun jugement n'interfère dans la narration » (Georg Christoph Lichtenberg)

Alice termine sa scolarité secondaire dans un lycée privé américain. Non loin de là, les élèves de l'établissement public, aspirant au championnat de la crosse (1) passent le plus clair de leur temps à organiser fêtes, beuveries, sauteries et dragues grossières.

Un soir deux adolescents sont accusés, au bruit d'une folle rumeur à laquelle ils ne sont pas étrangers, d'avoir abusé d'Alice au moment de la ramener, ivre, à son domicile.

Alice, depuis qu'elle est au collège, s'essaye, avec son amie Haley, à l'écriture de scenarii cinématographiques. Elle ne cessera, sa vie durant, marqué par cet évènement qui se serait produit, ou pas, de rechercher la vérité.

Il s'ensuit une quête permanente de celle-ci narrée aussi bien par la victime ainsi que d'autres protagonistes du roman, témoins directs ou indirects., sans que l'on sache, pas même la présumée victime, si l'évènement – le viol -, qui va marquer les personnages du récit, a eu lieu ou non.

Il conviendra d'attendre la toute dernière page pour comprendre la subtilité et l'originalité de l'ouvrage de Kate Reed Petty.

True Story, (Gallmeiter, 2021) dont le titre n'a pas été traduit, lors de sa parution en France, est le premier roman de Kate Red Petty.

Elle court, elle court la rumeur… Pour rendre compte de celle-ci, l'auteur utilise deux procédés audacieux, empreint d'un brin de folie, mais qui fonctionnent à merveille à raison de la quasi-totalité, et de la singularité et du machiavélisme à souhait de l'intrigue. Ces procédés littéraires renforcent, sans aucun doute, la qualité exceptionnelle de cette première fiction.

La première technique littéraire – il serait inopportun de la divulguer, même si l'on comprend assez vite. La seconde est qu'il s'agit d'un roman sous la forme de casse-tête, qui fait, cependant, l'économie de flash-backs, dont la compréhension se met petit à petit en place et qui contribue, au grand plaisir du lecteur, à une montée évidente de la tension et du suspense.

On ne peut d'ailleurs s'empêcher de faire le rapprochement entre la construction de cette histoire, sous forme de puzzle et la désorganisation qui règne dans l'esprit d'Alice que l'on retrouve à chaque stade de sa vie, qui mélange, tous azimuts, ses passions cinématographiques adolescentes avec ses lettres de motivation afin d'intégrer une prestigieuse université.

L'autre particularité de fond de ce roman semble être le rapport de l'auteur au féminisme. On peut lire, ici et là, qu'il s'agirait d'un roman féministe sans autre forme de commentaires. le roman mérite néanmoins un meilleur approfondissement qu'un simple raccourci facile.

À l'heure où aux États-Unis et dans une partie de l'Europe, sous l'influence de minorité de néo-féministes minoritaires, mais néanmoins radicales, le roman de Kate Reed Petty prend le contre-pied de ce mouvement littéraire au profit d'un féminisme classique et raisonnable où la femme est l'égale de l'homme, sans affirmer « préférer des femmes qui jettent des sorts à des hommes qui construisent des EPR » ou de ces écrits narcissiques, de plus en plus nombreux et mal écrits, qui narrent les violences subies, ou pas, de ces femmes en quête de reconnaissance.

C'est un roman qui tranche et condamne définitivement tous les poncifs, insipides et égotiques de nombreux auteurs, autofictions et récits actuels.

L'écriture est irréprochable, autant que la traduction par définition. Simple, mais pas niaise ou maladroite et empruntée, tout en étant rigoureuse. Les qualités narratives de l'auteur sont exceptionnelles, alternant les différents modes de narration et de focalisation qui subliment à la fois la qualité de l'écriture que le fond du récit et, plus particulièrement, la tension de celui-ci.

À titre d'exemple, fait exceptionnel, l'auteur, par l'intermédiaire d'Alice, utilise parfaitement, lorsqu'elle propose sa voix à ses prétendus agresseurs, la deuxième personne du singulier (le "tu" de narration interne).

En résumé, c'est un roman subtil, intelligent et addictif comme rarement il m'a été permis d'en lire ces derniers temps.

Kate Red Petty réussit un livre remarquable qui autorise d'en espérer l'écriture rapide d'un deuxième.

Michel BLAISE ©

1- La crosse est un sport collectif d'origine amérindienne où les joueurs se servent d'une crosse pour mettre une balle dans le but adverse… (Note du traducteur P. 27)

La fille du président, B Clinton - Jeff Patterson

 

   

                                                    Thriller politique                 


"Vous pouvez mettre des ailes sur un cochon, mais vous ne ferez pas de lui un aigle". (Bill Clinton)

À la suite du décès soudain du président des États-Unis d'Amérique, le vice-président, Mathew Keating, est désigné, en application des dispositions de la constitution américaine, pour succéder à la fonction suprême.

Depuis la cellule de crise de la Maison-Blanche, Mathew Keating, naguère membre des forces spéciales de la marine de guerre, donne l'ordre à ces mêmes forces militaires d'éliminer, dans son repaire sur le territoire libyen, le djihadiste sanguinaire, Assim Al-Achid. le président, Pamela Barnes - vice-président-, et les chefs d'état-major des armées et des services de sécurité assistent en direct au fiasco de l'intervention. Al- Achid a disparu ; son épouse et ses trois filles, présentes sur la place, sont accidentellement tuées aux cours de l'offensive.

Les électeurs ne pardonnent pas le revers infligé à la sécurité, à l'honneur, et à la fierté du pays. Et puis la trahison joue son rôle : au terme du mandat de Mathew Keating, Pamela Barnes, vice-président, est élue président des États-Unis.

Si la famille Keating espérait alors une existence plus paisible, bien mal lui en prit. La Maison-Blanche perpétue le souvenir d'une sinécure au prix de ce qu'elle s'apprête à subir désormais. Al- Achid, assoiffé de venger « ses femmes », enlève et séquestre Mélanie Keating, la fille de l'ancien président, contraignant ce-dernier à braver tous les interdits, jusqu'au plus haut sommet politique et militaire dans une course effrénée contre-la-montre,
pour tenter de sauver sa fille d'une décapitation publique annoncée et mise en scène à la face du monde sur la chaine de télévision qatarienne, al Jazeera.

« La fille du président » (JC Lattès, 2021) est le deuxième ouvrage, traduit en français après « le président a disparu » (JC Lattès, 2018) écrit, conjointement, par Bill Clinton, quarante-deuxième président des États-Unis d'Amérique et James Patterson, auteur Nord-américain incontournable, notamment de thrillers et de romans policiers.

Il est une personne que l'on évoque peu dans les avis de lecture. le traducteur. Dominique Defert me permet de réparer cette injustice.

Mon libraire préféré m'avait vivement conseillé de lire la version originale. Je parle et je lis l'anglais, très honnêtement pas au point de rêver encore dans la langue de Shakespeare ; je suis bien plus confortable dans celle de Molière. Mais c'est la dernière fois que j'achète un roman américain traduit par Dominique Defert ! Si l'on n'a pas servi dans l'armée américaine – et encore dans certaines de leurs forces spéciales – et auprès des divers services secrets américains - à défaut de simplement quelques notes en bas de pages, il est nécessaire de faire régulièrement appel à un dictionnaire pour comprendre de « quoi, qui ou qu'est-ce » …. La lecture d'une quantité d'acronymes, sans aucune explication, mêlée à un sentiment de défaut de spontanéité de la traduction, c'est déplaisant.

S'agit-il de suffisance ou de nonchalance ? D'arrogance et de dédain du lecteur, sans aucun doute.

Cela dit la qualité et la compréhension du roman et l'intrigue ne sont pas brouillées pour autant. Et c'est heureux car « La fille du président » est un bon thriller.

Ce qui, au premier chef, est brillant et attirant est la collaboration, parfaitement réussie, entre deux hommes de l'art. Un ancien président des États-Unis d'Amérique et un romancier. Quand le premier apporte son savoir et son expérience de la réalité politique et géopolitique, avec les réserves ou les exagérations imposées par le genre romanesque, au service de la fiction imaginée par le second (ou peut-être par les deux conjointement), le lecteur est ravi et comblé.

Tout le soin employé à l'élaboration d'une intrigue intelligible et captivante au moyen de très courts chapitres – quatre pages maximum, c'est très efficace - qui se termine chacun par la technique très maitrisée de l'aguichage (eh oui, je déteste le franglais dans la mesure du possible) – produit un très bon thriller et d'excellents moments de lecture. Et si par endroits, le récit est, comme toujours, un peu plus faible ou le suspense moins intense, les personnages sont construits et très intéressants à plusieurs égards.

En résumé, les amateurs de romans policiers et de thrillers ne devraient pas être déçus par ce roman que je conseille très volontiers.

Michel BLAISE ©       

mardi 14 septembre 2021

Le fils du pêcheur, Sacha Sperling

 

    

                                     Littérature française- homosexualité


« La fiction, c'est la part de vérité qu'il existe en chaque mensonge. » (Stephen King)


« le fils du pêcheur » (Robert Laffont, 2021) est la troisième autofiction de Sacha Sperling depuis la parution, en 2009, de « Mes illusions donnent sur la cour », alors que l'auteur avait seulement dix-neuf ans, récit encensé par la critique. Frédéric Beigbeder écrivait lors de sa parution « c'est le « Bonjour tristesse » de la rentrée. »»


Il s'agit, aujourd'hui, de la narration croisée, passée et actuelle, de l'histoire de deux amours toxiques et dévastatrices - la drogue, l'alcool, la maladie, la dépression, la mort, les questions matérielles et financières perverties - à Paris entre Mona et Sacha, trentenaires, d'une part, et ce dernier - lorsqu'il quitte son amie et la capitale pour rejoindre sa Normandie natale - et Léo, vingt-ans, d'autre part, son deuxième amour.


« J'ai été amoureux deux fois », écrit l'auteur.


Un roman est rarement le fruit de la seule imagination ; il convoque toujours la mémoire. La composition de la recette est ensuite affaire de raffinement entre ces deux ingrédients. Mais que penser et que croire du roman mêlant la fiction et la réalité autobiographique, a fortiori d'un auteur âgé de dix-neuf ans ? « L'impudeur ET la délivrance de l'autofiction » écrivait, en 1999, un critique littéraire au Monde.


Sacha Sperling, enfant de réalisateurs de cinéma, est doué pour inventer des histoires - qui au fil des autofictions se répètent à l'envi à travers le héros de son récit - lui-même - un « gamin » geignard, paresseux, flegmatique et apathique.


Le récit est incontestablement très bien écrit. Comment exiger davantage aujourd'hui au cœur d'une nouvelle littérature très médiocre ?


L'intrigue, dont on peut déplorer la lenteur durant la première moitié du livre, laisse quelquefois perplexe. À cet égard, on aimerait connaitre le sens des propos de l'auteur au début du récit, repris sur la quatrième de couverture : « j'ai détruit le mec que j'aimais ».


Ce n'est pas l'impression que nous laisse le roman à la fin de la lecture. Pourtant, cette question n'est pas un point de détail. Elle serait presque essentielle à la cohérence du récit si l'on considère que dans la liaison amoureuse entre Sacha et Mona existaient en germe les problèmes que l'on rencontre – renforcés - dans celle entre Léo et Sacha.


Et c'est pourquoi le dénouement de l'histoire entre ces derniers laisse perplexe quant à la portée « auto-fictionnelle ».


Une fin bâclée ou une impasse ? Une impasse, surement, dans laquelle, d'ailleurs, Sacha - bébé et trentenaire geignard – s'est toujours enfermé. Et le piège de l'auto-fiction semble rattraper Sacha Sperling. Où se situe la frontière entre la réalité et la fiction, le mythe du double littéraire ?


Sacha écrit : « j'ai été amoureux deux fois… Je les ai aimés pareil. Je veux dire aussi fort… ». Rien n'est moins sûr, car Sacha ne semble pas connaitre le sens du mot « Amour ». Quand il exige de sa thérapeute qu'elle lui donne des mots sur ses maux :


« je veux des mots ». De guerre lasse, le spécialiste est sans appel : « instabilité émotionnelle. Faille égotique… Troubles narcissiques… peur systématique d'abandon… Angoisses paranoïdes, renforcées par la prise constante de stupéfiants. Tendance à la dépression… »


Alors qui a détruit l'autre ? Et si Sacha, tout simplement, ne s'était borné qu'à révéler ses troubles psychiatriques, réels ou fictionnels ?


Dans quelle mesure cette relation n'a pas été que la seule conséquence de l'unique schéma affectif et amoureux invariablement connu et idéalisé de Sacha, depuis toujours ? Sacha n'est-il pas le seul artisan de sa propre infortune ? N'a-t-il pas reproduit ses errements, ses turpitudes et inconduites pour, en définitive, se détruire lui-même avant de rejeter la responsabilité sur les autres, sa mère, son père, Mona, Léo… ?


La réalité ne dépasse-t-elle pas la fiction ?


Quoi qu'il en soit, « le fils du pêcheur » - à la suite des précédentes auto-fictions de l'auteur - est un très bon récit, remarquablement bien écrit, que je recommande vivement.


Bonne lecture.


Michel BLAISE © 2021

mercredi 8 septembre 2021

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, Lionel Shriver

 

  

                                                Littérature américaine

      

« Quand la nudité rend au corps un culte pur, c'est la chair qui est humiliée ». (Eugenio d'Ors Y Rovira)


Un matin, à l'heure du petit déjeuner, Remington Alabaster, la soixantaine, ingénieur en génie civil, licencié de la mairie d'Albany - près de New York - par suite de propos racistes, déclare à son épouse, Serenata Terpsichore, son intention de courir un marathon. Serenata, âgée de soixante-années, juge ce projet semblable à celui du caprice d'un adolescent. Toujours est-il que cette lubie provoque une forte tension au sein du couple.


Durant plus de quarante ans, Serenata a couru, nagé, bondi, rebondi, avalé des kilomètres sur son vélo. Mais le temps faisant son œuvre, atteinte de douleurs aiguës aux genoux, Serenata a remplacé ses tenues de sport par une organisation d'entraînements quotidiens qu'elle accomplit scrupuleusement devant des émissions de téléréalité. Aigrie, désabusée, égoïste, misanthrope, systématiquement hostile à tout comportement grégaire - « Aujourd'hui, on tourne frénétiquement en rond, comme les tigres d'Helen Bannerman qui, à force de tourner, se transforment en flaque de beurre. Une civilisation jadis grandiose qui disparaît à l'intérieur de son cul. », - Serenata est irritée d'observer son époux, affublé d'un accoutrement criard et satiné, suivre le troupeau des coureurs du dimanche, très vite sous la houlette de « sa » très sexy coach Bambi.


La guerre est proclamée. ; le couple pourra-t-il résister à la crise face à ce bouleversement et au renversement des situations respectives. Au fond, la question posée par Lionel Shriver - avec pour prétexte le sport, la performance et le culte du corps -, est celle-ci : comment vieillir à deux, au sein du couple ?


Lionel Shriver – en vérité, Margaret Ann Shriver, – est née, en 1957 aux États-Unis (Caroline du Nord). C'est à l'âge de quinze ans qu'elle décide de masculiniser son prénom, convaincue que la vie des hommes est plus simple que celle des femmes. Diplômée de Columbia, Initialement professeur d'anglais (New York), elle pérégrinera ensuite à travers le monde : Nairobi, Bangkok, Belfast… avant de s'installer à Londres. Elle a écrit huit romans traduits en français et remporté plusieurs prix littéraires. : « Il faut qu'on parle de Kevin » (Belfond, 2006), « La Double Vie d'Irina » (Belfond, 2009), Double faute (Belfond, 2010), Tout ça pour quoi ? (Belfond, 2012), Big Brother (Belfond, 2014), La famille Mandible (Belfond, 2017), Propriétés privées (Belfond 2020). « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes » est son huitième roman traduit en français. Elle vit actuellement entre Londres et New York avec son mari, jazzman renommé.


Une intrigue, des conflits, des décors, un paysage, des personnages habilement désignés (1) et des dialogues – car de même que les personnages font l'histoire, les dialogues font les personnages - constituent les fondements indispensables au succès d'un roman. Lorsque l'auteur y ajoute la finesse de l'analyse, les descriptions approfondies aux détails faussement inutiles, il peut espérer approcher la perfection, atteindre le chef-d’œuvre.


Ça, c'était Lionel Shriver jusqu'à la parution de « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes », plus particulièrement dans son précédent livre de nouvelles, « Propriétés privées ».


Effectivement, plus brillant est l'auteur, plus grand est la déception après une lecture laborieuse de son récit. C'est l'envers du génie, la totale indulgence n'est accordée qu'aux moins talentueux. Si Lionel Shriver est habituellement remarquable, elle entame ses qualités dans son dernier roman. Celui-ci semble réunir l'ensemble de la critique lorsqu'elle « crie » au roman prodige. Mais un avis plus nuancé, voire radicalement opposé, peut être avancé. Et il ne s'agit pas de surjouer la critique négative en affirmant avoir éprouvé beaucoup de « souffrance » et d'ennui à la lecture de ce récit fastidieux.


Indubitablement, l'écriture de Lionel Shriver est, comme toujours, impeccable. Ses perceptions de la société et ses capacités à les écrire illustrent son intelligence et sa finesse d'esprit, plus particulièrement, lorsqu'elle dénonce, dans « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes », les outrances des discours et des comportements politiquement corrects aux États-Unis, plus spécialement à l'égard des afro-américains. Le roman, à cet égard, ne manque pas de scènes décomplexées et truculentes.


Bien d'autres thèmes sont abordés avec beaucoup de justesse, les réseaux sociaux, la téléréalité… à travers de drôles et savoureux dialogues.


Mais voici comment les qualités d'un roman peuvent rapidement devenir des défauts rédhibitoires. Sauf le message essentiel, de la dictature du corps et de la performance physique, chaque phrase, chaque mot du roman renferme d'autres messages, certes très subtils, mais tous azimuts, entremêlés les uns aux autres sans une authentique cohérence. Le roman est-il trop long pour le sujet entrepris ? Certainement. De fait, le récit évolue en un fourre-tout, dans lequel, d'ailleurs, l'auteur renoue avec des thèmes anciennement traités dans ses précédents romans « le désir d'appropriation du corps et de sa jeunesse » en référence explicite à « Propriétés privées. (Belfond, 2020)


En définitive, l'intrigue principale devient prétexte à écrire beaucoup trop de choses de façon très désordonnée.


Cela est également vrai à propos des dialogues entre Serenata et Remington – dont on peut concéder la qualité et l'humour souvent –, mais redondants et pénibles à lire sur toute la longueur du livre.


Lionel Shriver est un excellent auteur, elle m'a régalé avec ses précédents livres. Pas cette fois-ci. La confusion entre roman et autobiographie n'est sûrement pas étrangère aux circonstances. (2)


Michel BLAISE. © 2021


(1)
Remington fait référence à un minéral, en l'occurrence, dans l'esprit de l'auteur, un arbre.

« Droit comme un I. Remington était un homme mince au port altier qui donnait l'impression d'avoir gardé la ligne sas jamais rien fait pour… »

On peut noter que Remington est également une marque de célèbre machine à écrire. Est-ce à dire que l'auteur a fait un rapprochement entre la raison d'être de cette machine à « dialogues » et ceux, continuellement échangés, entre les époux Remington Alabaster et Serenata Terpsichore ?

Alabaster, en français albâtre, est un terme anglais appliqué à des minéraux utilisés en tant que matériaux destinés à la sculpture.

Terpsichore, du grec ancien, est une jeune fille, vive, épanouie, couronnée de guirlandes qui se dirige, tenant une lyre sur son épaule, de tous ses pas en cadence. Mère des sirènes, elle aurait un lien avec le Dieu Apollon.


(2)
On peut lire l'ouvrage comme une autobiographie romancée si l'on en juge par les déclarations de l'auteur, reprises dans la presse et, plus particulièrement « The Guardian et The New Yorker (1 juin 2000) « Looking for Trouble » (Lionel Shriver cherche des ennuis).

                            

mercredi 4 août 2021

Mes Trente Glorieuses, Anne Galois


                                         Littérature française


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« Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s'attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses ». (Manuel Valls)


À la faveur de souvenirs « intimes » - de la petite enfance à sa jeunesse - la narratrice, Margot Bourdillon, narre et dépeint - depuis deux perspectives, des faits divers, avec pour appui certaines « Une » de Paris-Match, ainsi que « ses » chroniques - une famille catholique traditionnelle en France depuis la fin de la seconde guerre au premier choc pétrolier de 1975.


C'est ainsi qu'est publié en 2019, puis réédité en 2021 (Éditions De BORÉE), l'ouvrage d'Anne Gallois, « Mes Trente Glorieuses ».


Excessivement de procédés sont déplaisants et regrettables dans cette entreprise trompeusement singulière. Il ne fait aucun doute, dans ce récit de vie et d'une époque - sous la réserve de l'immuable confusion du souvenir et de l'imagination - à l'instar du roman d'ailleurs - que les identités de la narratrice et l'auteur se confondent.


Par ailleurs, comment doit-on appréhender la première de couverture de cet ouvrage : « Anne GalloisMes Trente Glorieuses Prix de L'Académie Française. Anna de Noailles » ? Je sais ce qu'est L’Académie Française, je sais qui est Anna de Noailles (1876-1933), mais je n'ai jamais entendu un mot à propos d'Anne Gallois.


Allons au fond…


Voilà donc que plus de cinquante ans que l'hexagone vivait, par un temps sans doute plus doux que le nôtre, au « temps béni des colonies », des guerres d'Indochine et d'Algérie, de la crise de Mai 68 – au son de « CRS SS », de pédophiles assumés et toute autre joyeuseté. Liberté chérie…


Mais c'est aussi le temps, où dans les campagnes, les premières salles de bains, les machines à laver, les téléviseurs, la pilule affleurent. Il s'agit, plus généralement, d'un virage moderne et inattendu, d'une société qui se dessine, que Margot Bourdillon révèle avec pour trame l'actualité – Paris Match – afin d'éviter l'écueil insignifiant limité à la seule cellule familiale, la sienne.


Et c'est enfin le temps d'une génération qui laisse à la suivante son lot de problèmes, comme la présente le fait à l'intention des futures…


Margot Bourdillon, petite fille issue d'un milieu privilégié manifeste très tôt une conscience, sous une apparence généreuse, en réalité tourmentée, jalouse, arrogante et faussement modeste. La finesse de la restitution de l'époque n'est pas également la vertu du livre en raison de son manichéisme d'un point de vue de l'analyse politico-sociale. Les Trente Glorieuses n'étaient pas qu'un temps béni…


Pour terminer, en un mot, comme en cent, je me suis mortellement ennuyé à la lecture de ce livre.


Michel BLAISE ©2021

mercredi 21 juillet 2021

De mon plein gré, Mathilde Forget.


                                

                                            Littérature française


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Découvert au hasard à la médiathèque de Toulouse, arborant sur la première de couverture, en rouge, « coup de cœur », le roman de Mathilde Forget « de mon plein gré » (Ed. Grasset) n'est pas convaincant.


L'auteur s'est efforcée d'aborder un thème, mille fois traité en littérature aujourd'hui - le viol suivi des sentiments de culpabilité et de fragilité de la femme outragée.


L'héroïne, agent de sécurité, est lesbienne assumée, un tantinet féministe à la limite de la détestation des hommes - Mathilde Forget n'est pas avare d'images et de messages subliminaux éculés.

Pour autant, au petit matin, après une soirée arrosée, elle abandonne une amie - qui désapprouve son attitude - et embarque un homme à son domicile dont les intentions n'étaient pas équivoques.


Et puis le viol…


Le sujet du viol méritait mieux que ce roman sans épaisseur, aussi bien du point de vue des personnages, quasiment inexistants, que du récit lui-même - totalement désordonné, empreint d'aphorismes, de reproductions de textes, de spéculations et de répétitions creuses et insipides.


L'insistance permanente entre l'homosexualité féminine et le viol des femmes est très réductrice et sectaire.


Un roman très approximatif, voire raté.


Michel BLAISE, 2021©

Je préfère les génies aux abrutis. Laurent BRÉMOND.

 

    

                                          Biographie-Mémoires  



                                     

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« Il n'y a qu'un vrai succès : être capable de vivre ta vie à ta manière » (Christophe Morley)


Ce livre est le fruit d'une rencontre et de la naissance d'une amitié, un jour de circonstance et de hasard, dans un petit village des Deux-Sèvres à la terrasse d'un café, entre Laurent Brémond, réalisateur documentariste et Anémone.


Il voulait un instant poser la caméra ; depuis longtemps, elle désirait rédiger ses Mémoires - « Un projet suspendu parce qu'elle n'a pas été satisfaite des coauteurs rencontrés » (P.38).


À la fin de l'année 2017, Anémone mettait définitivement un terme à sa carrière professionnelle. Elle exprimait un point de vue très critique et dépité sur l'avancement et l'évolution du monde et, plus particulièrement, sur celui de l'industrie du spectacle.

« « — Tu m'aides à faire ma biographie, tu pourras l'adapter en film puisque tu en seras l'auteur ». Je reçois sa proposition comme un honneur, mais elle me bouscule… Mon stylo, c'est ma caméra… Une nuit de réflexion… Je réaliserai sa biographie, j'écrirai le film de sa vie. » » (P.39.40).


Le temps faisant son œuvre - incorrigible fumeuse - l'actrice s'éteint avant la parution. Elle n'assistera pas au dernier spectacle dans lequel elle joue, pour le coup, son propre rôle. C'est ainsi que sont nées les confidences inédites et posthumes d'Anémone à Laurent Brémond « Je préfère les génies aux abrutis » (Robert Laffont, 2021).


Au fond, qu'importent les admissibles imperfections de la biographie-Mémoires d'Anémone. Cet ouvrage est imprégné d'intentions, d'instincts, de sentiments ou encore de points de vue débordant de sincérité que ce genre de littérature délaisse, de plus en plus, au profit d'une nouvelle génération « d'écrivains » hâbleurs et égotistes - considérant que l'on n'apprécie pas la qualité d'un livre aux opinions qu'il véhicule, mais à l'honnêteté et la loyauté de son auteur.


Laurent Brémond, avec pudeur et une remarquable intelligence, a parfaitement réussi à montrer le véritable visage - certainement ignoré - de la jeune fille des années 68, « sa période hippie et écolo », assumée et revendiquée, abdiquant un milieu favorisé pour s'aventurer vers d'insensées et diverses pérégrinations jusque dans la « pampa mexicaine », puis sur les chemins incertains du spectacle, courant les cachets et les cabarets.


Ensuite, l'heure du succès, les premiers grands rôles, « le père Noël est une ordure, 1982 » « le grand Chemin, 1987 » (César de la meilleure actrice, 1988).


Enfin, deuxième enseignement d'une détermination inflexible, le délaissement résolu de sa famille professionnelle et du succès qui lui devinrent irrémédiablement insupportables. À la faveur de ce récit – Mémoires, Anémone se confie, sans pudeur, sur ces questions à Laurent Brémond. Avec un style et une verve truculente et non feinte, souvent impertinente, elle évoque des sujets très politiques qui lui importent à l'extrême : la société de consommation, le libéralisme, « l'exploitation capitaliste », l'écologie, ….


Il ne s'agit pas ici d'apprécier la qualité de l'ouvrage à la lumière des opinions radicales et extrêmes d'Anémone, mais du mérite d'avoir mis en valeur une personnalité pareillement drôle que grave, déraisonnable et burlesque que cultivée et intelligente. Anémone, qui ne manquait pas d'humour, parfois cinglant, ne manquait jamais une occasion de conspuer l'argent, la bourgeoisie et le capital tout en se plaignant de trop payer d'impôts, de manquer de moyens, et de se réjouir auprès de Laurent Brémond, à propos de ce livre à paraitre : « on gagnera plein de thunes… » À défaut de toujours parler du « Capital », elle aurait peut-être dû s'en constituer un…


À croire que même les génies ont leurs propres contradictions…


Au cœur de l'ouvrage, Laurent Brémond a interposé quelques photographies d'Anémone. L'une d'entre elles retient plus particulièrement l'attention (P.121). Pas seulement parce qu'elle montre combien Anémone était belle. Laurent Brémond résume en quelques mots de légende peut être l'essentiel :

« Les médias ont souvent résumé Anémone à l'image d'un clown, d'une actrice de comédies. Mais elle avait de nombreuses cordes à son arc, des talents multiples et un tempérament plus tourmenté qu'il n'y paraissait ».


Michel BLAISE © 2021