vendredi 8 mai 2020

Malamorte, Antoine Albertini








                                                                                                            Policier





En Corse, près de Bastia. Mohamed Cherkaoui tire sur sa femme et sa fille de cinq ans. Celles-ci sont mortellement touchées. Puis, il tente, en vain, de suicider. Qui, par ailleurs, assassine, sur le sentier des Crêtes, plusieurs randonneuses ?

De retour sur son île natale, affecté au BHS - le Bureau des Affaires Simples - en conséquence d’une sanction disciplinaire, un obscur capitaine de police sans nom ni prénom, le narrateur enquêteur, agit en solitaire pourchassé par un passé assidument présent, et s’efforce d’élucider les deux enquêtes nonobstant la condescendance de ses collègues et le peu de disposition de la hiérarchie à son égard dans une oasis de compromissions, de trafics d’influence et de corruptions commis aussi bien par d’importants entrepreneurs que par le pouvoir exécutif et l’administration policière locaux.


Toutefois en raison de liens affectifs, persuadé de ses compétences professionnelles, Lou Girardi, chef de la section criminelle, impose le capitaine pour enquêter sur ces crimes. C’est au prix d’une détermination inébranlable que celui-ci confondra les coupables au moyen de solutions parfois peu orthodoxes.


Mais sur l’ile de beauté, les coupables aussi bien que les innocents demeurent parfois fort marris…


« Malamorte » est un roman d’Antoine Albertini, publié en 2019, aux éditions Jean-Claude Lattès, correspondant au quotidien le Monde et rédacteur pour France 3 en Corse. Il est également l’auteur des « Invisibles » et de « La femme sans tête » - un roman basé sur des faits réels.


Il est difficile de commenter d’une façon univoque « Malamorte » tant ce récit est remarquable par certains aspects que sa perception générale, à l’aune du genre du roman policier, est très imparfaite.


La recrudescence « d’écrivains » médiocres engendre l’édition de « fantaisies » de plus en plus abêtissantes, sans aucun intérêt pour le divertissement ou l’enrichissant du lecteur. Malheureusement, ce constat se vérifie aussi et surtout dans le domaine de la littérature policière au sens large.


Antoine Albertini, plus particulièrement le roman « Malamorte », est le remarquable contre-exemple. Son écriture, son style et son sens de la narration sont supérieurs. (1). Sur le fond, c’est une fiction – nonobstant l’allusion à peine voilée à des crimes et délits politiques récents (2) – pénétrée de connaissances, d’intelligence et de cohérence ; elle exauce, autant qu’elle exhausse, le plaisir de quelques heures de lecture également distrayantes qu’enrichissantes ; elle se lit avec un plaisir indéniable.


En outre, l’auteur a choisi, ce qui est plus rare dans la bonne littérature policière, le mode narratif à la première personne permettant une proximité avec le lecteur et une identification plus importante de celui-ci avec l’histoire et les personnages.


La personne du capitaine de police sans nom réunit les caractères indispensables à l’écriture d’un roman policier efficace : un homme perclus de fêlures : solitaire avec un penchant immodéré pour l’alcool : il a perdu l’amour de sa vie. Bien que modérément et à peine évoqué dans le roman, le drame plane inlassablement sur le tempérament du capitaine : « deux cents mètres carrés remplis d’absence. Quatre ans, sept mois et neuf jours qu’elle n’avait pas donné signe de vie » (P.78 Ed. Le livre de poche) ; ses liaisons, parfois dangereuses, avec les indics ; sa suspicion à l’égard de la hiérarchie (et de ses amis), qui le lui rend bien, à laquelle il n’obéit pas toujours parce qu’il ne lui accorde pas sa confiance ; qu’il soupçonne de compromissions, de complicité avec la mafia locale. Bref, un type désabusé par la corruption organisée et généralisée, qui n’en fait plus qu’à sa tête, mais qui, un jour, devra solder sa dette pour sa détermination….


En effet, le capitaine, évoluant au fil du récit, apprenant de ses expériences, comprendra définitivement, à la fin du roman, que le retour aux sources de l’enfance n’est pas toujours une sinécure ….


La Corse : le paysage du roman et ses décors sont tout autant soignés, aboutis et saisissant de réalisme. La beauté et la douceur de l’ile sont radicalement et très justement présentées autour de sa criminalité politico-financière omniprésente.


L’ensemble de ces points de vue fait du récit d’Antoine Albertini un roman réussi et très plaisant à lire.


En revanche, la question, a priori anodine, du choix du narrateur anonyme semble révélateur. En soi, cela ne pose aucun problème, d’ailleurs l’intrigue aurait pu le justifier. Mais ce n’est pas le cas. En réalité, ce constat révèle chez l’auteur, inconsciemment certainement, sa volonté de supprimer tout intermédiaire entre lui-même et le narrateur. Qu’est-ce à dire ?


Antoine Albertini est essentiellement journaliste de profession. Or, son roman policier ressemble davantage à un reportage ou à une enquête journalistique, certes de fiction, qu’à un roman policier. Dès lors, il n’a pu résister à la tentation de sacrifier un suspense policier de qualité, qui n’aurait pas été exclusif pour autant d’une écriture admirable, à diverses images et descriptions de journalistes d’investigations trop longues et trop nombreuses.


La conséquence de cela est la narration d’une intrigue facile, insuffisante perfectible et un peu laborieuse dans sa progression.


Mais ne boudons pas notre plaisir, « Malamorte » est loin d’être un mauvais roman (policier), bien au contraire ; j’en conseille vivement sa lecture, pour autant les dernières réserves.


Bonne lecture,


Michel BLAISE ©



1) L’écriture d’Antoine Albertini est sublime. Certains extraits pourraient constituer à eux seuls de véritables petites chroniques :

« Le Bureau des Homicides Simples… Rien n’est jamais simple… Rien n’est jamais simple parce que derrière le rideau des aveux, une voix intérieure raconte toujours une autre histoire, un enchainement illogique de causes et de conséquences, la réminiscence d’un parfum, le souvenir vaporeux d’un espoir déçu…

On se trouve derrière un bureau, l’âme perdue dans une brume de tabac. Une lampe posée entre un verre à moutarde transformé en cendrier et trois gobelets de café vides éclairent à peine la silhouette prostrée de l’autre côté du bureau. Cette silhouette est celle d’une femme à l’orée de la cinquantaine que la beauté a dû frôler autrefois. Elle est vêtue d’une parka d’une couleur indéfinie, avec une capuche ornée d’une fausse fourrure synthétique. Ses cheveux sont emmêlés, son nez rougi. Le matin même, à six heures pétantes, cette femme a ouvert la porte de son appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble anonyme sur la route du cap Corse, a regardé la carte tricolore brandie sous son nez…en demandant : « Les menottes c’est nécessaire ? » …

Cette femme que la beauté a dû seulement frôler sait que les témoins l’ont reconnue…au moment où elle faisait marche arrière pour la troisième fois sur le corps de son amant de vingt-trois ans. Elle sait que quelqu’un l’a forcément entraperçue ouvrir sa portière et cracher sur le corps désarticulé avant de démarrer en trombe. Elle sait tout ça, elle ne songe même pas à nier.

Alors cette femme se met à raconter son enfer intime. Sans verser une larme, elle explique comment son amant, presque l’âge de son fils – « un coup de cœur, monsieur, un vrai coup de cœur » -, l’a réduite à néant…. Les textes salaces qu’il la forçait à envoyer… Les photos en porte-jarretelles…que monsieur Coup- de- cœur faisait mater à ses copains dans les boîtes de nuit où il flambait le fric qu’il lui soutirait … Elle ne s’apitoie pas sur son sort, ne tente pas de minimiser les faits. À mesure que l’audition progresse, qu’elle s’enfonce dans le marécage de sa propre déchéance, cette femme que la beauté a seulement frôlée ne pleure toujours pas.

Il l’appelait « grosse vache ». La filmait avec son téléphone portable… Il lui a promis de tout balancer sur Internet s’il n’obtenait pas une rallonge pour un nouveau week-end de beuverie.

Oui, un beau matin, elle a quitté son amant sur le parking… Oui, elle l’a suivi sur deux kilomètres, l’a percuté à pleine vitesse avant de lui rouler dessus par trois fois et couvrir son cadavre de crachats. Oui, elle sait qu’elle va se retrouver en prison, projetée dans un univers de toxicos et de psychotiques, de putes et de malades, de gouines féroces déphasées par les tranquillisants. Elle sait tout ça, mais elle ne parvient pas à oublier son coup de cœur. Elle le dit, touchant sa poitrine…. « Il est là monsieur ».

Et ce qu’elle redoute le plus, bien plus que sa vie privée étalée devant les jurés d’une cour d’assises, plus encore que le regard d’un fils élevé seule en se saignant aux quatre veines, tient à cela : par sa propre faute, elle vivra ce qui lui reste à vivre sans passer une nuit, rien qu’une nuit dans les bras de son « coup de cœur ».

Voilà l’histoire de cette femme que la beauté a seulement frôlée.

Même au bureau des homicides simples, rien n’est simple ».

(P32. Ed. Le livre de poche).


2) - Allusion à l’affaire de l’assassinat à Ajaccio, le 6 février 1998, du Préfet Claude Érignac. (P.23 Ed. Le livre de Poche)

    - Allusion aux difficultés politico-judiciaires de madame le sous-préfet de Sartène, en Corse, Véronique Caron, ayant conduit à l’ouverture d’une information judiciaire en 2019 pour corruption passive. (P.277 Ed. Le livre de poche).

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