mercredi 9 octobre 2019

Nous nous sommes tant aimés, Mona Azzam

                            
                                                

                                              Littérature générale - poésie


Paris, le 10 mai 1981. Il est midi. À 20 heures, la radio et la télévision annonceront l'élection de François MITTERRAND. Ce jour, qui honore les 18 ans d'Océane, est également unique pour la jeune étudiante en architecture qui, pour la première fois, se retrouve seule à Paris afin de poursuivre ses études.


Après de sensuelles pérégrinations dans la capitale, Océane, légèrement hésitante, entre dans le Café de Flore à Saint- Germain-des-Près. Invitée par de jeunes gens à s'asseoir leur table, son regard, animé d'un désir manifestement partagé, rencontre celui d'Emmanuel. Il est présenté tel un "poète philosophe", libertin et inconstant ; mais beau et séduisant, il plait.


Au moment de quitter ses nouveaux "amis", Océane - "un joli prénom qui donne envie de naviguer dans les océans" (P.20) – accepte l'invitation à prendre le thé chez lui. Ils font l'amour ; les corps exultent. Extatique, la jeune femme est pénétrée par les flèches de Cupidon. Quand les désirs sont exaucés, Océane sort ; elle laisse un billet sur l'oreiller : " Je t'aime, je serai au Flore à partir de midi" (P.36).

"Je t'aime". Trois mots qui anéantissent toute possibilité d'avenir. " Océane réveille-toi, ces "je t'aime" ce sont des inepties. Je ne t'aime pas. Nous nous apprécions…l'amour n'existe que dans l'imaginaire collectif…l'amour…c'est ce que l'on croit ressentir, parce qu'on a voulu le ressentir…" (P.37, 39).

Désemparée, anéantie, Océane ne reverra plus Emmanuel ; elle quitte définitivement Paris, le 12 mai 1981.


Trente années plus tard, "au seuil de son existence" (P.48), Océane regarde une photo jaunie. Et se remémorant la sentence prononcée au Flore, grisée par le champagne et la perspective d'Emmanuel - "ce 10 mai 1981 a pris les allures d'un jour de bonheur, parti pour durer éternellement. Je me refuse, en cet instant précis, à penser au futur, à toutes ces années à venir et, m'emparant de ma énième coupe de champagne, j'y trempe les lèvres, formulant ainsi, en silence, une promesse, celle de ne jamais oublier ce jour…" (P.24) – elle a tenu parole : parce que "seul l'éphémère dure" (P.48), Emmanuel est resté et demeurera éternellement dans ses rêves...



"Nous nous sommes tant aimés", publié par les éditions LA TRACE, est le dernier roman de Mona AZZAM, professeur de lettres à Montpellier, née en Côte d'Ivoire. Elle est l'auteur d'une première fiction "sur l'oreiller du sable", " d'un recueil de nouvelles "dans le silence des mots chuchotés" ainsi que d'ouvrages et études littéraires, tel que " Nerval dans le sillage de Dante".


L'onirisme et la poésie demeurent les univers privilégiés de Mona AZZAM. "Nous nous sommes tant aimés" consolide et renforce la caractéristique de l'écriture de l'auteur. Christophe Maris, préfacier de l'ouvrage, rappelle, à raison, le romantisme artistique attaché aux endroits où nous amènent le roman, "de Saint-Germain-des-Prés à Rome". Mais c'est insuffisant. L'invention d'Océane (et d'Emmanuel) – si elle accorde au lecteur une possibilité d'identification à des émotions, à une époque et à des lieux – n'est que le prétexte, sincère et véridique au demeurant – à la volonté de Mona AZZAM d'exprimer, dans une "prose poétique", un genre également symbolique.


Le récit débute par l'arrivée d'Océane, jeune étudiante de 18 ans, à Paris. Elle découvre le quartier latin, Saint-Germain-Des-Prés, le Café de Flore. L'auteur s'attache à lui (à nous) faire (re) vivre une époque, à travers ses artistes (écrivains, chanteurs, cinéastes, "nous nous sommes tant aimés", titre choisi en hommage au film d'Ettore Scola), des sentiments (amitiés, amours, parfois contrariées), ou encore une atmosphère. C'est le temps du romantisme.


Mais celui-ci, ancré dans la réalité, ne dure qu'un temps, si peu de temps pour Océane. Arrivée à Paris le 10 mai 1981, amoureuse d'Emmanuel le jour même, elle quitte la capitale, éconduite, deux jours après.


Mona AZZAM poursuit son œuvre dans le monde onirique, fictif. Les références à Rimbaud ne sont pas aléatoires. Trente années plus tard, à la faveur d'une vieille photographie, Océane rend compte du temps qui a passé et de celui à venir, aux côtés d'un d'Emmanuel éternel.


Si l'histoire est en définitive assez commune, son intérêt réside dans sa narration et l'utilisation des styles littéraires - du romantisme au rêve - qui lui confère toute sa puissance.


"Nous nous sommes tant aimés" est le fruit d'une écriture parfaitement maîtrisée. Lire Mona AZZAM c'est aussi entendre la puissance des mots savamment harmonisés. D'allitérations en assonances et de prose en rimes, le récit de l'auteur est sensuel et intense.


Il est à noter la corrélation entre l'œuvre de l'esprit et le livre, son support matériel, d'une particulière qualité avec, en couverture, une magnifique reproduction de la photographie du Café de Flore (Philippe Huchet).


Bonne lecture,


Michel BLAISE © 2019

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