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Dans "La Promesse", Friedrich Dürrenmatt, nouvelle traduction aux éditions Gallmeister (2023) nous immerge dans un univers où les dilemmes moraux et les choix impossibles constituent l'ossature du récit. En écho à la citation d'Albert Camus, aussi troublante qu’éloquente, l’auteur interroge en profondeur la nature humaine et les décisions qui l’engagent souvent au prix de sa propre cohérence. Le commissaire Matthäi, figure centrale du roman, se retrouve ainsi lié par une promesse faite à la mère d’une fillette assassinée : retrouver le meurtrier, coûte que coûte. Une promesse tenue avec une ténacité qui flirte avec l’obsession, quitte à le mener, inexorablement, à sa propre perte.
Friedrich Dürrenmatt excelle à bâtir une atmosphère pesante, presque claustrophobe, où chacun des protagonistes semble hanté par ses propres ombres. Le commissaire, mû par une volonté farouche de justice, s’engage dans une quête où la vérité se dérobe à mesure qu’il croit s’en approcher. C’est un véritable labyrinthe de faux-semblants et de silences coupables qu’il arpente, et dans lequel les repères traditionnels du bien et du mal s’estompent jusqu'à ne plus offrir que des zones grises.
Ce qui rend "La Promesse" aussi captivant qu’inquiétant, c’est cette spirale implacable dans laquelle l’auteur entraîne le lecteur. Suspense, angoisse, désillusion : chaque page creuse davantage l’abîme psychologique dans lequel les personnages, et avec eux le lecteur, se débattent. Derrière les ressorts apparents du polar, Dürrenmatt propose une réflexion plus vaste, plus vertigineuse, sur la culpabilité, la responsabilité et cette quête de rédemption qui, chez certains, devient une damnation silencieuse.
Par touches successives, à travers des personnages aussi tourmentés que crédibles, l’auteur nous pousse à interroger la justice elle-même – non pas comme institution, mais comme idée. Qu’est-ce qu’être juste ? Jusqu’où peut-on aller pour tenir une promesse ? Et surtout, que vaut la vérité dans un monde dans lequel le hasard se joue des intentions humaines ? Dürrenmatt ne propose pas de réponses, il ouvre des failles.
"La Promesse" dépasse ainsi largement les codes du thriller. C’est une tragédie moderne, où le destin semble prendre un malin plaisir à contrecarrer les volontés les plus sincères. Le roman devient alors un miroir sombre de la condition humaine, tendu vers cette promesse funeste qui, loin d’apaiser, consume.
L’écriture, dense et tendue, épouse parfaitement la gravité du propos. Chaque mot parait pesé, chaque phrase tendue comme une corde prête à rompre. Friedrich Dürrenmatt manie l’art du récit avec une rigueur qui confine à la précision chirurgicale, tout en laissant filtrer une émotion sourde, contenue, presque désespérée. Son style, à la fois sec et vibrant, donne à lire non seulement une histoire, mais une tension continue, une inquiétude permanente.
Les retournements de situation sont dosés avec une science du rythme remarquable. Rien n’est gratuit, tout participe à la montée dramatique, jusqu’à ce dénouement saisissant, d’une ironie cruelle, qui force le lecteur à revoir sous un nouveau jour l’ensemble du récit. Cette fin, qui prend à revers les attentes du genre, confère à l’ouvrage une portée philosophique rare : une sorte de désaveu du mythe du héros, broyé ici par l’absurde.
"La Promesse" s’impose donc non seulement comme un grand roman policier, mais comme une œuvre à part entière dans le paysage littéraire du XXe siècle. Dürrenmatt y déconstruit les illusions, déjoue les schémas narratifs attendus, et transforme une intrigue criminelle en fable noire sur l’orgueil, la foi aveugle et la tragédie du sens.
Une lecture bouleversante, indispensable à quiconque aime être saisi, non seulement par le suspense, mais par une interrogation plus large sur le sens de nos actes et sur les forces, visibles ou non, qui les gouvernent.
Bonne lecture.
Michel BLAISE © F.D.L (fureur de lire)
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