mercredi 4 août 2021

Mes Trente Glorieuses, Anne Galois


                                         Littérature française


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« Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s'attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses ». (Manuel Valls)


À la faveur de souvenirs « intimes » - de la petite enfance à sa jeunesse - la narratrice, Margot Bourdillon, narre et dépeint - depuis deux perspectives, des faits divers, avec pour appui certaines « Une » de Paris-Match, ainsi que « ses » chroniques - une famille catholique traditionnelle en France depuis la fin de la seconde guerre au premier choc pétrolier de 1975.


C'est ainsi qu'est publié en 2019, puis réédité en 2021 (Éditions De BORÉE), l'ouvrage d'Anne Gallois, « Mes Trente Glorieuses ».


Excessivement de procédés sont déplaisants et regrettables dans cette entreprise trompeusement singulière. Il ne fait aucun doute, dans ce récit de vie et d'une époque - sous la réserve de l'immuable confusion du souvenir et de l'imagination - à l'instar du roman d'ailleurs - que les identités de la narratrice et l'auteur se confondent.


Par ailleurs, comment doit-on appréhender la première de couverture de cet ouvrage : « Anne GalloisMes Trente Glorieuses Prix de L'Académie Française. Anna de Noailles » ? Je sais ce qu'est L’Académie Française, je sais qui est Anna de Noailles (1876-1933), mais je n'ai jamais entendu un mot à propos d'Anne Gallois.


Allons au fond…


Voilà donc que plus de cinquante ans que l'hexagone vivait, par un temps sans doute plus doux que le nôtre, au « temps béni des colonies », des guerres d'Indochine et d'Algérie, de la crise de Mai 68 – au son de « CRS SS », de pédophiles assumés et toute autre joyeuseté. Liberté chérie…


Mais c'est aussi le temps, où dans les campagnes, les premières salles de bains, les machines à laver, les téléviseurs, la pilule affleurent. Il s'agit, plus généralement, d'un virage moderne et inattendu, d'une société qui se dessine, que Margot Bourdillon révèle avec pour trame l'actualité – Paris Match – afin d'éviter l'écueil insignifiant limité à la seule cellule familiale, la sienne.


Et c'est enfin le temps d'une génération qui laisse à la suivante son lot de problèmes, comme la présente le fait à l'intention des futures…


Margot Bourdillon, petite fille issue d'un milieu privilégié manifeste très tôt une conscience, sous une apparence généreuse, en réalité tourmentée, jalouse, arrogante et faussement modeste. La finesse de la restitution de l'époque n'est pas également la vertu du livre en raison de son manichéisme d'un point de vue de l'analyse politico-sociale. Les Trente Glorieuses n'étaient pas qu'un temps béni…


Pour terminer, en un mot, comme en cent, je me suis mortellement ennuyé à la lecture de ce livre.


Michel BLAISE ©2021

mercredi 21 juillet 2021

De mon plein gré, Mathilde Forget.


                                

                                            Littérature française


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Découvert au hasard à la médiathèque de Toulouse, arborant sur la première de couverture, en rouge, « coup de cœur », le roman de Mathilde Forget « de mon plein gré » (Ed. Grasset) n'est pas convaincant.


L'auteur s'est efforcée d'aborder un thème, mille fois traité en littérature aujourd'hui - le viol suivi des sentiments de culpabilité et de fragilité de la femme outragée.


L'héroïne, agent de sécurité, est lesbienne assumée, un tantinet féministe à la limite de la détestation des hommes - Mathilde Forget n'est pas avare d'images et de messages subliminaux éculés.

Pour autant, au petit matin, après une soirée arrosée, elle abandonne une amie - qui désapprouve son attitude - et embarque un homme à son domicile dont les intentions n'étaient pas équivoques.


Et puis le viol…


Le sujet du viol méritait mieux que ce roman sans épaisseur, aussi bien du point de vue des personnages, quasiment inexistants, que du récit lui-même - totalement désordonné, empreint d'aphorismes, de reproductions de textes, de spéculations et de répétitions creuses et insipides.


L'insistance permanente entre l'homosexualité féminine et le viol des femmes est très réductrice et sectaire.


Un roman très approximatif, voire raté.


Michel BLAISE, 2021©

Je préfère les génies aux abrutis. Laurent BRÉMOND.

 

    

                                          Biographie-Mémoires  



                                     

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« Il n'y a qu'un vrai succès : être capable de vivre ta vie à ta manière » (Christophe Morley)


Ce livre est le fruit d'une rencontre et de la naissance d'une amitié, un jour de circonstance et de hasard, dans un petit village des Deux-Sèvres à la terrasse d'un café, entre Laurent Brémond, réalisateur documentariste et Anémone.


Il voulait un instant poser la caméra ; depuis longtemps, elle désirait rédiger ses Mémoires - « Un projet suspendu parce qu'elle n'a pas été satisfaite des coauteurs rencontrés » (P.38).


À la fin de l'année 2017, Anémone mettait définitivement un terme à sa carrière professionnelle. Elle exprimait un point de vue très critique et dépité sur l'avancement et l'évolution du monde et, plus particulièrement, sur celui de l'industrie du spectacle.

« « — Tu m'aides à faire ma biographie, tu pourras l'adapter en film puisque tu en seras l'auteur ». Je reçois sa proposition comme un honneur, mais elle me bouscule… Mon stylo, c'est ma caméra… Une nuit de réflexion… Je réaliserai sa biographie, j'écrirai le film de sa vie. » » (P.39.40).


Le temps faisant son œuvre - incorrigible fumeuse - l'actrice s'éteint avant la parution. Elle n'assistera pas au dernier spectacle dans lequel elle joue, pour le coup, son propre rôle. C'est ainsi que sont nées les confidences inédites et posthumes d'Anémone à Laurent Brémond « Je préfère les génies aux abrutis » (Robert Laffont, 2021).


Au fond, qu'importent les admissibles imperfections de la biographie-Mémoires d'Anémone. Cet ouvrage est imprégné d'intentions, d'instincts, de sentiments ou encore de points de vue débordant de sincérité que ce genre de littérature délaisse, de plus en plus, au profit d'une nouvelle génération « d'écrivains » hâbleurs et égotistes - considérant que l'on n'apprécie pas la qualité d'un livre aux opinions qu'il véhicule, mais à l'honnêteté et la loyauté de son auteur.


Laurent Brémond, avec pudeur et une remarquable intelligence, a parfaitement réussi à montrer le véritable visage - certainement ignoré - de la jeune fille des années 68, « sa période hippie et écolo », assumée et revendiquée, abdiquant un milieu favorisé pour s'aventurer vers d'insensées et diverses pérégrinations jusque dans la « pampa mexicaine », puis sur les chemins incertains du spectacle, courant les cachets et les cabarets.


Ensuite, l'heure du succès, les premiers grands rôles, « le père Noël est une ordure, 1982 » « le grand Chemin, 1987 » (César de la meilleure actrice, 1988).


Enfin, deuxième enseignement d'une détermination inflexible, le délaissement résolu de sa famille professionnelle et du succès qui lui devinrent irrémédiablement insupportables. À la faveur de ce récit – Mémoires, Anémone se confie, sans pudeur, sur ces questions à Laurent Brémond. Avec un style et une verve truculente et non feinte, souvent impertinente, elle évoque des sujets très politiques qui lui importent à l'extrême : la société de consommation, le libéralisme, « l'exploitation capitaliste », l'écologie, ….


Il ne s'agit pas ici d'apprécier la qualité de l'ouvrage à la lumière des opinions radicales et extrêmes d'Anémone, mais du mérite d'avoir mis en valeur une personnalité pareillement drôle que grave, déraisonnable et burlesque que cultivée et intelligente. Anémone, qui ne manquait pas d'humour, parfois cinglant, ne manquait jamais une occasion de conspuer l'argent, la bourgeoisie et le capital tout en se plaignant de trop payer d'impôts, de manquer de moyens, et de se réjouir auprès de Laurent Brémond, à propos de ce livre à paraitre : « on gagnera plein de thunes… » À défaut de toujours parler du « Capital », elle aurait peut-être dû s'en constituer un…


À croire que même les génies ont leurs propres contradictions…


Au cœur de l'ouvrage, Laurent Brémond a interposé quelques photographies d'Anémone. L'une d'entre elles retient plus particulièrement l'attention (P.121). Pas seulement parce qu'elle montre combien Anémone était belle. Laurent Brémond résume en quelques mots de légende peut être l'essentiel :

« Les médias ont souvent résumé Anémone à l'image d'un clown, d'une actrice de comédies. Mais elle avait de nombreuses cordes à son arc, des talents multiples et un tempérament plus tourmenté qu'il n'y paraissait ».


Michel BLAISE © 2021

dimanche 20 juin 2021

Moi et François MITTERRAND, Hervé Le TELLIER


                           Humour - Politique - Pamphlet

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« Il y a ceux qui ont besoin d'écrire, ceux qui ont besoin de rêver, ceux qui ont besoin de parler… ; mais les romans ne sont pas sérieux, c'est la mythomanie qui l'est » (André Malraux).

Ce court récit, illustré par des documents visuels, « Moi et François Mitterrand » (Hervé le Tellier Jean-Claude Lattès, 2016), dont l'auteur est lui-même le narrateur, relate la « vraie fausse » correspondance d'un mythomane avec le président Mitterrand et ses successeurs jusqu'à François Hollande.

« Je ne vais pas en faire une affaire d'État…, mais à partir de 1983 François Mitterrand et moi avons entretenu une correspondance assidue… »

« Cher François Mitterrand, je voulais vous féliciter – fût-ce avec un léger retard – de votre élection voici deux ans déjà. Je suis à Arcachon où je passe de bonnes vacances, nous parlions justement de vous. Nous avons mangé des huitres, excellentes, bien qu'un peu laiteuses. Encore bravo. Hervé le Tellier. »

Quelques semaines plus tard, Hervé le Tellier reçoit une réponse-type, mais qu'il interprète comme très personnelle au point qu'il identifiera toute la correspondance qui va suivre, mais qu'il alimente seul puisqu'il ne recevra toujours que la même lettre impersonnelle, à l'amitié que se portaient Montaigne et La Boétie, comme le révèle la citation en épigraphe du texte : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi ».

« Présidence de la République, Paris le 12 décembre 1983,

Cher Monsieur, votre lettre en date du 10 septembre 1983 vient de me parvenir et je vous en remercie. Ne doutez pas, cher Monsieur, que vos remarques recevront toutes l'attention qu'elles méritent et qu'elles seront prises en considération par nos services dans les délais les plus brefs… »

« Dès les premiers mots, j'ai tout de suite reconnu le style de François Mitterrand, si aérien, si littéraire… J'ai apprécié ce « Cher Monsieur » … »

Ce texte, que l'on pourrait sous-titrer la « correspondance d'un mythomane », au demeurant fort bien écrit, n'aspire qu'à procurer une heure de joyeuse et hilare lecture. Il y parvient brillamment.

Mais sous couleur de légèreté, l'on distingue, dans une comédie politique du rapport au pouvoir, quelques lazzis et quolibets bien sentis qui autorisent l'intitulé de pamphlet.

C'est délicieux, jouissif, irrévérencieux et bien écrit.



Michel BLAISE © 2021

La grâce et les ténèbres, Ann Scott

        

                                       Islamistes - Internet - terroristes

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« On dit les idéologies mortes, mais les plus efficaces sont celles qu'on ne perçoit pas comme telles ». (Marc Augé)

Sur le thème de l'islamisme et le monde méconnu de la lutte bénévole qui le combat sur les réseaux sociaux, ce livre (« La grâce et les ténèbres », Calmann-Lévy 2020) est exaspérant et problématique. Polar géopolitique, document, ce livre est avant tout un essai parce qu'Ann Scott ne se limite pas à raconter une histoire ou à exposer objectivement des faits, mais présente, plus que de raison, sa pensée pénétrée d'une idéologie obsédante qui interpelle sur les rapports malsains que l'auteur entretient avec l'islamisme.

Les faits. le personnage principal, Chris, trentenaire, musicien incapable, bourgeois-bohème, sans personnalité ni conviction, tête à claques et exaspérant - bref, « jeune branleur » et bon à rien -, habite un appartement vide, trop grand pour lui, dans lequel il vit la nuit et dort la journée. Il tente, mais en vain, de composer sa musique. Influencé par les engagements de sa mère, climatologue, et de ses sœurs, photographe et reporter de guerre, il pense donner un sens à sa vie, le jour où, avec celles-ci, il découvre - peu après la présentation des images de l'exécution par l'État Islamique du journaliste, James Foley - un groupe d'anonymes qui lutte contre la propagande djihadiste sur internet, les « narvalos ».

Au début fasciné, il se lance dans la cybersurveillance pour, petit à petit, se détacher de lui-même au service d'une cause, une fois encore trop ambitieuse pour lui, qui le déborde jusqu'au stress posttraumatique.

Avant la parution de son premier roman « Asphyxie » (1996) - description de l'ordinaire d'un groupe punk américain en tournée en Europe, inspiré de Nirvana et des Sex Pistols -, Ann Scott ne trouvait pas d'éditeur. Puis vint la publication, quatre ans plus tard, de « Superstars » (Flammarion 2000), précédé de « Poussière d'anges » et, enfin, de « Cortex », (Stock).

Les ouvrages d'Ann Scott particulièrement psychédéliques, gravitent régulièrement autour des thèmes de la musique électronique, de la drogue - sans pour autant dénoncer celle-ci - de l'homosexualité et de la bisexualité, sur un ton prosélytique par un rejet subliminal de l'homosexualité lorsqu'elle déclare sur le média « Nulle part ailleurs » : « Autant la bisexualité est une forme d'équilibre pour moi, autant les relations homosexuelles que j'ai pu vivre ont été plutôt pathologiques »

Assurément sa rencontre, en 1995, avec la sulfureuse, contestée et contestable Virginie Despentes (1) - qui s'est récemment illustrée par des prises de positions racialistes - et aujourd'hui l'écriture de « La grâce et les ténèbres », trahissent Ann Scott qui entretient entre l'islamisme et d'autres structures extrémistes également répugnantes - l'ultra droite et autres organisations néonazies, notamment - une vision hiérarchisée singulièrement malsaine.

La rédaction de cet essai, pétri d'idéologies, expose évidemment l'auteur, pareillement à son ouvrage, à des critiques plus personnelles.

Mais je ne veux pas me fourvoyer dans le commentaire. Aussi, j'admets très volontiers que la présentation des « Narvalos » - sous certaines réserves tenant aux amalgames entre document et fiction, spécialement lorsqu'il s'agit de romancer les « loupés » des services du renseignement (attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, par exemple) en citant nommément les protagonistes des agressions islamistes et le modus operandi, procédé plus que discutable - est remarquable. le travail accompli par l'auteur, durant deux ans au côté du collectif de la « Katiba des Narvalos » (en arabe « Bataillon des fous »), constitué après les attentats de 2015 en France afin de collaborer, bénévolement à leurs risques et périls, auprès des services de renseignements, est louable et très instructif.

Et si l'on doit saluer, dans cet ouvrage, je ne sais quoi et je ne sais qui, ce sont bien ces anonymes et eux seuls.

Pour le reste, sur le fond, l'ouvrage d'Ann Scott est navrant d'idéologie et de dogmatisme contre-productifs.

mardi 13 avril 2021

Dans la tête de ma psy et comment choisir le sien, Dr Sylvie Wieviorka

 


                             Médecine - psychiatrie - psychothérapie     

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   « De quelque manière qu'on s'y prenne on s'y prend toujours mal » (Sigmund Freud)


L'ouvrage du médecin psychiatre Sylvie Wieviorka - HumenSciences, 2021(1) - n'est pas un traité de psychiatrie ni de psychanalyse. Pour autant, l'auteur ne s'abandonne jamais à la vulgarisation. S'obligeant à une définition simple et modeste - « la psychothérapie s'adresse à des personnes qui souffrent » - l'auteur écrit simultanément un récit et un essai, intelligent et intelligible, signé d'une longue expérience. Il interpelle prioritairement ceux qui, déjà affaiblis par des souffrances psychiques, seraient désireux de consulter, mais doutent de la pertinence et des conditions d'une démarche difficile, souvent perçue comme un espoir vain. Sylvie Wieviorka donne des informations et des conseils appropriés, illustrés de cas concrets et de dialogues rapportés, afin de réfuter aprioris et préjugés.

mardi 23 février 2021

Le misanthrope, Molière

 

                                                        Théâtre classique


Tout homme qui a quarante ans n'est pas misanthrope n'a jamais aimé les hommes (Nicolas de Chamfort).

Le défenseur des droits proposait des lieux sans contrôles policiers, afin de ne pas "discriminer" une minorité de résidents de cités - une autre façon de créer des zones de non- droit.

Le même jour, France Culture saluait l'initiative d'un "centre de théâtre" invitant des jeunes"auteurs" à réécrire cinq pièces de Molière "afin de le rendre plus accessible" et de le "désacraliser".

Quel lien ? Une tragi-comédie !

" J'entre en une humeur noire, et un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font ;
Je ne trouve partout que lâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ;
Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain".

Le Misanthrope, (I, 1, v. 89-94)

Bonne lecture.

Michel BLAISE ©

mercredi 17 février 2021

Le puits du fou, Joffrey Sinet (Lien vers Babelio)

 

                  

                                             Policier - Thriller psychologique

 « Il est préférable de guérir l’offense plutôt que de la venger. La vengeance prend beaucoup de temps, elle expose à bien des offenses ». (Sénèque)


Marc olivier Novak (Marco), le narrateur, ne vit que pour une atroce obsession, un projet effroyable et cynique - venger la mort de son fils. Robin était âgé de cinq ans lorsqu’il fut renversé par Frans Van Hagen, un chauffard en état d’ivresse qui prit la fuite après l’accident.

Le mariage et les relations sociales de Marco n’ont pas survécu au drame.

Frans est condamné à quinze ans d’emprisonnement. C’est insignifiant pour « ce fils de chien…. Quinze ans de taule pour avoir buté mon gosse…, et fauché trois vies… Que sont quinze ans de gnouf ? Une mascarade ! » (P.50).

Aussi, lorsque Frans est libéré, Marco met en œuvre une folle, démoniaque, et machiavélique entreprise de vengeance réfléchie et minutieusement préparée, durant quinze ans, à l’intention de « l’assassin » de son fils.

Joffrey Sinet est un écrivain publié en autoédition. Il enseigne le français et l’histoire en lycée professionnel. Épris de littérature, passionné plus particulièrement par les auteurs de romans policiers et de thrillers, « Le puits du fou » et son troisième ouvrage. (1)

Lorsque Joffrey Sinet choisit un narrateur interne pour relater son récit méphistophélique - en l’occurrence Marco, le personnage principal -, une plus-value est conférée conséquemment à son roman par l’amplification des émotions et l’identification du lecteur à celles-ci. Il serait faux de nier que c’est exactement ce à quoi aspire tout lecteur de romans - la décentration - ce mécanisme psychologique permettant d’oublier sa propre situation pour s’installer dans celle de quelqu’un d’autre, exprimée par : « je lis pour m’évader ».

Ainsi entendu, « Le puits du fou » est l’assurance d’une évasion et la promesse de suspense, d’horreurs, de malheurs et de sueurs froides.

Cela dit, le récit de Joffrey Sinet est-il strictement une fiction ? L’auteur et le narrateur ne se retrouvent-ils pas, à un instant du récit - la mort d’un enfant -, dans la réalité, quand d’autres situations ne seraient que fantasmées – comme l’exécution de la vengeance ? Certains propos de l’auteur, au chapitre des remerciements, permettent cette question qui n’est pas inutile eu égard à la nature de l’intrigue, de son intérêt et de sa portée également.

C’est pourquoi, « Le puits du fou » se place bien au-delà des polars ou des thrillers. Pour ces derniers, le caractère chimérique est assimilé par le lecteur qui, tout en frissonnant, sait qu’il se trouve « en territoire de fiction ». Alors, tous les bénéfices sont concentrés : divertissement - au sens pascalien - et frissons. La lecture du livre de Joffrey Sinet peut, de ce point de vue, se révéler moins confortable.

Pour autant, l’ensemble - une écriture irréprochable, des propos, des raisonnements, et des dialogues exquis, intelligents, jubilatoires, justes et saisissants de réalisme – offre de merveilleux et remarquables moments de lecture.

Je recommande vivement.

Bonne lecture.

Michel BLAISE ©


1 – Joffrey Sinet a également publié :
Prête-moi ta mort, 26 août 2020 – ISBN - 979-8679401020
Intrication, 8 avril 2020 – ISBN - 978-2957199518

jeudi 4 février 2021

Cent ans de Laurelfield, Rebecca Makkai (Lien vers Babelio)


                                    Littérature américaine - saga familiale


« Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine » (Antonio de Salazar)

Dans l'atavique demeure de « Laurelfield », dans l'Illinois près de Chicago, l'aïeule centenaire, Violet Saville Devohr, qui jadis s'y serait suicidée, hante les lieux. Elle observe depuis son portrait suspendu au mur de la salle à manger, ses descendants et les résidents qui vont et viennent.

Sur le mode des poupées gigognes et empruntant un chemin à rebours, l'auteur écrit une saga familiale impertinente et audacieuse.

1999. le 31 décembre, veille du passage au deuxième millénaire, sont présents : Zee, enseignante universitaire, marxiste, qui dédaigne la fortune de ses parents, tout en profitant de celle-ci en habitant le domaine familial avec son mari, Doug, doctorant ès Lettres, ainsi que sa mère, Grace, aussi étrange que mystérieuse - dissimule-t-elle un abominable secret ? -, et son beau-père, Bruce, obsédé à faire des provisions pour prévenir la catastrophe annoncée du passage à l'an 2000.

1955. Grace et son mari, George - alcoolique et violent -, emménagent à « Laurelfield ». Mais Grace perçoit des indices dont elle est persuadée qu'ils augurent de mauvais présages dont certains sont comme surréels. Désormais, sa situation se trouve sens dessus dessous. Néanmoins, et fort heureusement, Grace s'agrippe à Max, le majordome. Mais celui-ci est également perclus de mystères se traduisant pour Grace par l'incapacité de celle-ci à découvrir qui est réellement la jeune Amy, la prétendue nièce de Max.

1929. « Laurelfield » est une colonie d'artistes accueillant le « gratin » de la création artistique de l'entre-deux-guerres, une communauté esthète et libertine.

« Cent ans de Laurelfield » (Les Escales, janvier 2021) est le troisième roman traduit en français de Rebecca Makkai (Lake Forest - Chicago, Illinois) après « Chapardeuse » (Gallimard, 2012) et « Les Optimistes » (Les Escales, janvier 2020).

Si l'on osait une comparaison artistique entre la littérature et l'opéra, on pourrait dire que le roman « Cent ans de Laurelfield », par opposition à un récit plus conventionnel, rappellerait l'une des traditionnelles altérités de l'art lyrique. Quand le « Bel canto » de Verdi commence par une ouverture qui expose, en quelques mouvements, l'intégralité et l'ampleur des passions en sursis, l'opéra Wagnérien joue de ressorts spéculatifs. Avec circonspection et toutes proportions gardées, l'on peut dire que Rebecca Makkai, dans « Cent ans de Laurelfield », déploie un récit aux allures wagnériennes par l'usage de thèmes étroitement imbriqués au sein d'intrigues, entremêlées les unes aux autres, parfois relevant de la magie, voire du mythe. de même, l'on retrouve des fondamentaux - leitmotivs et fils conducteurs - au soutien de la composition du récit exhaussé suivant une construction antéchronologique - de 1999 à 1900, en s'achevant par un prologue – où, à chaque instant, Rebecca Makkai révèle des messages au lecteur :

« Tout ce fichu siècle aurait eu bien plus de sens s'il s'était déroulé à rebours» (P. 154).

C'est un point essentiel qui traduit le coup de maître réalisé par l'auteur dans ce roman d'une intelligence outrageante. Mais que l'on ne s'y méprenne pas, pas de providence, ni Dieux ni Déesses sur la propriété de « Laurelfield », mais des intrigues et des personnages, de chair et de sang, empreints de points de vue contraires et opposés, magistralement mis en scène, qui demeurent et se meuvent, mais tous dans la filiation de générations successives.

Rebecca Makkai n'est pas avare d'intrigues et de contradictions dont« Laurelfield » est un modèle de creuset. Zee, universitaire marxiste, aux liens familiaux contrariés, accepte, toutefois, d'emménager dans la remise de la propriété avec son mari, Doug, astreint à rédiger, pour l'université, une monographie sur un mystérieux poète, Edwin Parfitt. Peu inspiré, il écrit en secret des romans pour jeunes filles. À la demande de Grace, les époux doivent partager cet espace avec le demi-frère de Zee, Case, et sa femme, Miriam, une artiste fantasque. Mais l'équilibre du couple formé par Zee et Doug semble être remis en question depuis l'arrivée des deux autres. Également, Amy, une jeune fille moquée pour son physique, qui est présentée par Max comme sa prétendue nièce, sème le trouble.

Les personnages du roman, qui évoluent au sein de conflits permanents, présentent tous les caractères pour s'y attacher ou les détester. Leurs défauts, leurs contradictions et leurs évolutions – à ce dernier égard, il est prudent de se méfier des apparences, les bons ne sont pas toujours ceux auxquels nous pensons. Mais, tous concourent à faire de cette fiction un excellent roman.

Quelques réserves cependant :

En premier lieu, sur ces deux derniers points – intrigues et personnages -, on ne saisit pas toujours, et pour tous, ce qu'ils deviennent au fil de la lecture et, plus particulièrement, dans la deuxième et la troisième partie du roman. Aussi, une seconde lecture - voire une deuxième - peut s'avérer nécessaire pour bien comprendre, le cas échéant, ce que sont devenus certains personnages et le sens de certaines situations (Zee et Max par exemple). Mais, tout compte fait, Rebecca Makkai n'écrit pas un roman sur ce qui va arriver, mais sur le passé révolu et le pourquoi de celui-ci que seul le lecteur peut saisir en fin de roman.

Ainsi, comme l'on sait, dans les années 20, « Laurelfield » était une colonie accueillant des artistes - dont Edwin Parfitt. Doug est persuadé que le grenier contient des archives et documents précieux pour son travail. Il s'affranchit, alors, de l'interdiction, très énigmatique de sa belle-mère, Grace, que seul le lecteur comprendra, mais plus tard, tout comme tant d'autres mystères et intrigues.

De même, mais ce point n'est pas en lien avec l'apparente tortuosité du roman particulièrement bien conduit, il faut lire une centaine de pages pour ne pas abandonner la lecture en cours de route. Si celles-ci ne sont pas outrageusement ennuyeuses, elles ne sont pas d'emblée passionnantes en raison, précisément, de la structure du roman et du fait que l'on ne sait pas très bien ce qu'il en est et où l'on va. Mais tout vient à point à qui sait attendre…

En bref, si le livre demande une lecture un minimum soutenue, il est extrêmement riche, intelligent et passionnant et, paradoxalement, léger et drôle sur fond de comédie, voire de satire historique, de spectres et apparitions, agrémenté d'humour à caractère sexuel, mais toujours spirituel.

Je conseille très vivement la lecture de ce roman.

Bonne lecture.


Michel BLAISE ® 4 février 2021